IV.

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Dans une chambre pouilleuse du Dauphin Pouilleux.

À présent il faisait bel et bien nuit. La lumière blafarde du jour avait lentement cédé sa place au noir profondément noir et profond du ciel nocturne. Le soleil, lui, était apparu, pendant quelques minutes au-dessus des terres, juste au moment où il allait se coucher. C'était presque un rituel. En fait, le soleil était un enfant silencieux qui, avant d'aller au lit, se montrait à son peuple et repartait. Maintenant il dormait profondément, contrairement au garçon allongé sur une paillasse irritante et dure comme du bois. Les yeux grands ouverts, il fixait le plafond. Bien que celui-ci soit une œuvre brillamment exécuté, le jeune homme était bercé par un ennui somnolent, sans que le sommeil lui parvienne totalement. En tant que futur héros d'une quelconque fable, et malgré l'ignorance de son statut, des réflexions diverses agitaient son esprit. Demain, qu'allait-il faire ? Où irait-il ? Est-ce que Dieu existe ? Si oui, pourquoi l'avait-il fait atterrir dans un endroit qui servait des boissons aussi infectes ? Était-ce là une punition ?

Ses ruminements de cerveau furent soudain interrompu par un bruyant craquement de branche. Le jeune homme sortit de son lit et fixa l'obscurité de la nuit à travers la fenêtre. On ne distinguait vaguement que les formes sombres des arbres décharnés qui entouraient l'auberge. Pourtant quelque chose était là, il le sentait. Quelque chose l'appelait. Un murmure s'éleva.

«Morfydd...»

Morfydd - car s'était son nom - sursauta. C'était un chuchotement, pourtant il avait semblé hurlé. Il avait atteint son cerveau sans passer par ses oreilles, comme une pensée. Une pensée qui pourtant provenait de l'extérieur. Une pensée bruyante qui rebondissait contre les parois de son crâne, qui lui disait de sortir et de rejoindre son propriétaire. Son corps se mit en mouvement, ignorant son cerveau qui lui disait de rester dans sa chambre. Il sortit sur le palier qui surplombait la salle de restauration où chaises et tables gisaient fantomatiquement sur le sol. Tout le monde dormait. Il descendit l'escalier sur la pointe de ses orteils - qui n'avaient toujours pas reçu d'habits convenables. La manière fuyante qu'avait son regard à s'agiter lui donnait un air de fou, ou d'imbécile. L'escalier grinça et Morfydd grimaça.

Dehors, les nuages vaporeux avaient disparu. Une odeur métallique de pin et de glace émanait du sol froid. La lune projetait des galets de lumière argentée sur le sol et sur le tronc famélique des arbres. Elle déguisait le paysage de mort en conte de fée, illuminait les minces feuilles survivantes et les changeait en métal. Elle créait des ombres et des zones de lumière sur le visage anguleux de Morfydd, qui avançait dans ce monde irréel. Il lui semblait être plongé dans un doux rêve.

Le léger sifflement du vent dans les branches fut soudain masqué par un nouveau craquement dans une ombre, suivit d'un juron.

«Putain ! s'exclama la voix dans les pensées de Morfydd, qui est donc l'abruti qui a mis cette racine sur mon chemin

De l'ombre d'où venait la voix sortit une autre ombre. Celle-ci se déplaçait en titubant, comme si elle s'était cognée. Ce n'était pas une entité consistante, pourtant elle était bien là. Morfydd la voyait comme on voit le noir quand on clôt nos paupières, qui semble disparaître dès qu'on rouvre nos yeux. C'était comme si il y avait un trou dans l'espace, un trou en forme d'homme qui se déplaçait. À l'endroit où il y aurait dû avoir des yeux, il y avait deux minuscules points, aussi luisant que la lame d'un couteau. Bien que l'air fut déjà glacial, il émanait de la forme une aura qui aurait refroidit de la lave en fusion. Avant que Morfydd puisse faire quoi que ce soit, la silhouette se tourna - ou donna l'impression de se tourner - et dit :

«Ah, salut

La voix s'abattit sur les os du jeune homme comme sur un xylophone.

«Qu'est-ce que, commença-t-il avant de se souvenir de la politesse, hum, qui êtes vous ?

- Je suis La Mort, répondit la silhouette avec nonchalance. J'ai un service à te demander.

- Oh.

- Oh, comme tu dis. Je cherche un apprenti. Il n'y a pas beaucoup de volontaires, malheureusement. Enfin, quand je dis qu'il y en a très peu, c'est plus qu'il n'y en a pas du tout.

- Vous voulez quoi exactement ? demanda Morfydd qui essayait de cacher son inquiétude due au fait qu'il se trouvait en face de La Mort en personne.

- Que tu sois mon apprenti, je viens de te le dire. Tu as du coton dans les oreilles ?

- Euh, non c'est juste que je... vous.. vous voulez que je vous aide à tuer des gens ?

- Tu te trompes, répondit La Mort. Je ne tue pas les gens, je les emmène simplement ailleurs. Ils se font tuer, moi je ramasse. La mort fait partie de la vie, je n'y peux rien. Je ne suis qu'un intermédiaire.

- Et en quoi pourrais-je vous être utile ?

- Figure toi que j'ai beaucoup de travail, jeune homme. J'ai besoin de quelqu'un comme toi.

- Comme moi ?

- Tu es capable de faire des choses, des choses bien plus puissantes que tu ne peux imaginer. C'est dans ta nature. D'ailleurs, je pense que tu le sais parfaitement

Il y eu un moment de flottement, léger au milieu du paysage nocturne. Les animaux semblaient eux aussi s'être tu, les plantes cessèrent un instant de pousser. Les yeux brillants de La Mort fixait Morfydd, plantant son regard inexistant au plus profond de la tête du jeune homme. Finalement, celui-ci brisa le silence.

«Je... je ne le contrôle pas...

- Tu apprendras, fit la Mort. Donne moi ta main

Une partie de l'ombre sembla se détacher du corps impalpable et s'approcha du garçon. Il tendit sa main en tremblant. L'ombre s'enroula autour d'elle comme un serpent invisible et glacé. Doucement, un petit bout de lumière chevrotante apparut au creux de sa paume, tel une luciole fatiguée, pas plus grosse qu'un tête d'épingle. Elle éclairait le visage de Morfydd d'une lumière bleuâtre et tourbillonnait sur elle-même comme un orage miniature, hypnotisant. Cette lumière était faite de tellement de choses inexistantes sous forme de mots que Morfydd se demandait si elle était vraiment là. L'orbe flou électrisait sa paume et dressait ses poils dans un crissement inaudible. Soudain il parut devenir net, grossit de manière incommensurable et disparut d'une telle manière qu'il semblait ne jamais avoir existé.

«Qu'avez-vous fait ? s'exclama le jeune homme.

- Maintenant ce sera plus simple, souffla La Mort. Tu pourras t'en servir sans en avoir peur. Acceptes-tu ce que je te demande ?

- Que dois-je faire exactement ?

- Si tu acceptes, tu le sauras bien assez tôt

Morfydd inspira le maximum d'air que pouvait contenir ses poumons. Il était seul, il était perdu, il était livré à lui-même.

«C'est d'accord.»

Malgré le fait que personne n'aurait pu déceler un quelconque visage parmi le vide noir que formait La Mort, celle-ci parut satisfaite.

«Demain tu sauras précisément que faire, dit-elle avec une voix qui, nonobstant sa ressemblance avec le son d'une porte de tombeau qui grince, eu l'air vaguement amicale. Maintenant va dormir

Et la Mort s'en alla.

Comment Détruire Une LégendeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant