XI.

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On ne sait trop où.

Aslan essaya de rassembler ses souvenirs proches dans un coin de son cerveau qui n'avait pas encore gelé. Il se souvint de s'être réveillé, ballotté dans un sac, porté par des jambes courantes et désordonnées. Il se souvint d'une chute – pas longue, mais suffisamment brutale pour sentir une douleur lancinante dans son dos. Il se souvint d'une vague discussion à son sujet – ou peut-être pas – et de chocs sourds sur le sol. Il se souvint du déchirement du sac, puis, il ne sais pas. Et maintenant il était assis – du moins il lui semblait – sur un sol dur, froid et humide. Autour de lui, il n'y avait rien de discernable. Parler d'obscurité serait un euphémisme. Aux alentours, il y avait du noir, uniquement du noir, plus sombre que la nuit, plus sombre que l'espace lointain ou les cheveux de Blanche-Neige. Les neurones du prince lui commandèrent de lever sa main devant lui, et il sentit le mouvement. Mais il ne pu voir si il l'avait bel et bien exécuté. Il lui semblait que ses paupières étaient clouées sur ses yeux, et que derrière elles, il n'y avait qu'un vide sombre. Il ne savait pas où il était, ni quand il était. La seule information qu'il pouvait percevoir avec ses membres engourdis, c'était qui se trouvait à lextérieur – ou bien dans une caverne de glace. Ses muscles tremblèrent, il grelotta.

Soudain, un craquement électrique retentit dans le brouillard noir, et une odeur de feuilles brûlées séleva d'un point imprécis dans le silence. Alors, Aslan se souvint de la voix, la voix rassurante qui avait déchiré le sac. Et cette pensée réchauffa ses mains glacées. Il n'avait aucune idée des intentions de cette présence, mais il n'était pas seul. Un deuxième craquement résonna dans ses oreilles et il vit. Une petite lueur tremblota au niveau du sol. Elle répandait un halo de lumière chaude autour de son centre. C'était une flamme dorée, crépitante et consolante. Il distingua alors dans la pénombre les voûtes d'arbres qui créaient une enclave de vide. On ne voyait pas le ciel, caché par le toit de feuilles. Des étincelles volantes éclairait la prison végétale, au milieu de laquelle brûlait le feu. Et au-dessus était penchée une silhouette courbée, protégeant la flambée de son corps tordu. Des ombres d'or et de noir projetait des formes fantasque sur son visage. Aslan alors le reconnu. C'était le garçon, l'hypnotiseur fugace, la vision impalpable. Il reconnu ses yeux noirs, portails vers la nuit, et dedans dansait la flamme. Ses cils brillaient dans la lumière, et jetait des pics voilés sur ses orbites.

«Qui es tu ? demanda le prince.»

Il avait murmuré ces paroles, mais elles furent amplifiés par l'air stagnant. L'autre se retourna doucement, plantant son regard débène flambant dans le sien – ce fut l'impression qu'il eut, dans l'ombre. Il semblait vide.

«Je m'appelle Morfydd, répondit Morfydd. Qui êtes vous ?

- Je suis le fils du roi. Je m'appelle Aslan.»

Une lueur étrange passa sur le visage de Morfydd, un mélange de tristesse et de raillerie. Il soupira.

«Pourquoi m'as-tu aidé ? continua Aslan.

- Je ne savais pas que vous étiez un prince, marmonna Morfydd avec un regard acéré.»

Puis il détourna ses yeux brûlants, et Aslan sentit sa poitrine se libérer d'un poids.

«Tu n'aimes pas les nobles ? demanda-t-il sans oser lui faire de nouveau face – il commença à jouer avec une branche cassée à ses pieds.

- Personne n'aime les nobles, répliqua Morfydd. Si quelqu'un vous dit le contraire, c'est qu'il ne veut pas finir au piloris.

- Et toi, tu n'as pas peur que je t'y envoie ? répondit le jeune homme, qui commençait à trouver cet inconnu bien impoli, et qui manifestement n'avait jamais appris le respect.»

Un léger rire s'échappa d'entre les lèvres de Morfydd. Le jeune prince sentit une piètre colère remonter dans son larynx. Ses yeux lancèrent des éclairs qu'on aurait pu qualifier de pathétiques, par rapport au regard bien trop calme de son interlocuteur.

«Je vous ai sauvez la vie, je vous rappelle, répondit celui-ci. Vous n'allez quand même pas faire cela.

- Non, en effet, grogna Aslan. La politique de mon père assassine déjà suffisamment d'innocents.»

Les mots étaient sortis d'un seul coup. Ils venaient de son inconscient, obscurcis par le déni, enterrés sous l'hypocrisie. Il se figea à l'entente de ses paroles qu'il n'avait pas voulu extirper. Il y a quelque chose dans l'air, se dit-il, quelque chose qui creusait loin, au plus profond de lui-même, qui exposait ses pensées à l'air libre du silence nocturne. Et cela l'effrayait plus qu'il ne saurait l'exprimer avec des mots, malgré l'absence de barrière entre son subconscient et sa langue.

Il prit conscience que Morfydd le fixait. Les fils de d'insolence qui cousaient ses illades avaient disparu. À la place, il y avait un sourire d'une tristesse latente, en rien provoquant ou désinvolte. On pouvait lire sur son visage qu'il comprenait plus que les simples mots, qu'il comprenait quelque chose de non dit, de non pensé mais bel et bien existant. L'absence de bruit rendait palpable l'abrupt tension entre les deux présences muettes. Ils restèrent silencieux longtemps, et plus le temps passait, plus il était dur de briser l'air solidifié. Mais il le fallait. Parce qu'ils commençaient tous deux à craindre pour leurs orteils – et surtout si ils allaient bien rester accrochés à leur place.

«Venez, mon prince, murmura Morfydd. Il vous faut rentrer au château, il fait trop noir et trop froid dans ces bois.»

Il se leva, marcha vers Aslan et lui tendit la main. Ce dernier l'attrapa et se leva à son tour, vacillant, puis retombant lourdement sous la fatigue. Alors, il se mirent à rire, éclatant le calme de la forêt. Et ils prirent la direction de la ville, laissant derrière eux le feu mourant qui crépitait encore.

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⏰ Dernière mise à jour : Oct 01, 2020 ⏰

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