IX
Quand Malaïka arriva enfin dans le hall de l'immeuble d'Ophélie, elle suffoquait. Sans masque, elle avait traversé la ville le bas de son visage comprimé contre sa veste en cuir pour filtrer au mieux l'air pourri qui tentait de s'engouffrer en elle. Elle se plaqua contre un mur pour ne pas s'effondrer, sachant pertinemment qu'à l'instant où elle permettrait à son corps de s'allonger, les conséquences de sa course viendraient férocement la dévorer. Elle n'avait plus que quelques marches à monter avant de pouvoir s'affaisser contre Ophélie et se laisser cajoler et reconstruire doucement.
Elle se détacha du mur et, lentement, ses rotules chuintant à chaque marche, elle grimpa les deux étages lui permettant de rejoindre son amante. Elle s'était dirigée vers sa demeure par instinct, guidée, comme elle l'était toujours, par la splendeur, addicte à la beauté quand même cette obsession mettait en danger tout ce qui l'entourait. Devant la poignée, les bras chargés de technologie, elle frappa à la porte avec son genou.
Des tonnerres contre son entrée sortirent Ophélie de sa léthargie. Avachie dans son canapé, elle n'avait plus bougé depuis que l'un de ses voisins, l'ayant trouvée gisant sur le béton humide, l'avait reconduite chez elle. Le thé qu'il lui avait concocté avant de la laisser avait refroidi dans sa tasse beige, la couverture avec laquelle il l'avait bordé avait glissée sur le sol encombré de ses chaussures. Elle ne trouvait pas le courage pour soulever son corps et ouvrir la porte mais les coups reprirent plus forts, plus hâtifs, trahissant un véritable désespoir.
Ophélie réussit alors à rehausser sa colonne vertébrale tandis que celle de Malaïka s'effondrait contre la porte. Ophélie ouvrit grands ses yeux verts gonflés tandis que les paupières de Malaïka s'effondraient sur ses prunelles noisette. Les articulations d'Ophélie se déplièrent tandis que les tendons de Malaïka se recroquevillaient. Ophélie parvint à se mettre debout à l'instant où Malaïka croulait à genoux. Ainsi, lorsqu'elle déverrouilla enfin sa porte, Ophélie prit de plein fouet, sur ses jambes, le buste de Malaïka qui se télescopa à ses tibias, lâchant tout le matériel qui tomba dans un grand bruit métallique et abîma le sol tressé.
Ophélie réagit très vite en se penchant pour la rattraper comme elle le pu. Elle réussit à lui éviter de se cogner la tête contre le cadre de la porte et elle la souleva légèrement pour la traîner dans son salon et la disposer sur son canapé, renversant par là-même la tasse de thé, laissant un liquide froid et ocre tacher la couverture blanche trainante. Rapidement, elle retourna vers sa porte pour récupérer le matériel inconnu et le mettre à l'intérieur et elle referma enfin ses verrous, rassurée qu'aucun voisin ne soit passé.
Elle devinait que la technologie amoncelée en vrac dans son salon, habituellement si parfaitement rangé et propre, était illégale, tout comme elle était consciente que la femme actuellement étendue sur son gigantesque canapé, la femme envers laquelle toutes ses pensées ne cessaient de se braquer, la femme qu'elle avait l'intime conviction de connaître profondément, comme si elle avait déjà fabriqué un nid dans le creux de son cerveau, était aussi une criminelle, une dealeuse de drogue humaine pour le peu qu'elle savait, devinant que cette activité illicite pouvait bien dissimuler d'autres choses.
Sa précipitation lui provoqua une nouvelle quinte de toux, grasse et glaireuse, qui éclaboussa sa langue d'un arome ferreux provenant de ses bronches. Ignorant cela, elle s'avança vers Malaïka qui avait fermé ses yeux. Elle constata à la vision de ses épaules chétives se relevant et s'abaissant régulièrement que la jeune femme s'était assoupie et elle alla simplement lui chercher une nouvelle couverture avant de ranger le désordre envahissant l'harmonie pastelle de son salon.
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Les lèvres des rêves
Science FictionPêcheuse de songes, voleuse de mirages, Malaïka, virtuose dans ses méfaits, dérobe chaque nuit les rêves des autres pour les redistribuer, dans un futur où le Brouillard Permanent obstrue l'onirisme de la plupart des nuits. L'intrusion d'Ophélie dan...