XIII

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XIII

Ophélie avait du pouvoir. Outre sa peau blanche et sa richesse, le métier de son père, un grand industriel, lui permettait d'apprendre plus de choses que la plupart des habitants de cette ville où les informations, comme bloquées par l'épaisseur malhonnête et putride du Brouillard, ne circulaient plus. Ophélie n'avait jamais vraiment pris conscience de ce pouvoir, n'en n'ayant jamais eu l'utilité dans son petit cocon de couleurs et de brillances.

Pour la première fois, avec Malaïka, elle avait appréhendé toute l'étendue de sa puissance innée et, sans la moindre hésitation, elle avait choisi de la dévouer à son amante et à ses besoins. Dès leur décision de libérer Imaé, Ophélie avait appelé son père et discuté avec lui durant des heures, prétendant parler de tout et de rien, mimant de prendre des nouvelles, jusqu'à réussir à se renseigner sur la localisation de la détention d'une bande de voleur de rêves, prétendant avoir un nouveau projet qui nécessitait d'obtenir des interviews. Après plusieurs appels, son père avait trouvé l'adresse du poste de police confinant Imaé et il avait confié à sa fille cette position.

Les limites de la souveraineté d'Ophélie et de son père s'arrêtaient là, mais le simple fait de savoir les rendait plus imposants que la majorité de la ville. La connaissance du système et de ses rouages leur permettait, tout autant que les souvenirs de splendeurs, d'avoir des rêves car, connaissant les possibilités, ils pouvaient songer à un futur, un espace virtuel interdit à celles et ceux dont seul le présent brumeux formait les aiguilles des horloges cassées.

Selon Ophélie, le lendemain était la délicatesse d'une silhouette esquissée dans des couverture fine qui s'étirait en coinçant ses doigts bariolés dans un millier de boucles nitescentes. La partition de son avenir ne pouvait être dictée que par des lèvres charnues et brunes scandant des rimes capables d'écarter le rideau de vapeurs empoisonnées. Si elle avait le pouvoir de conduire ce futur à travers la capiteuse buée, il était de son devoir de le faire.


Les deux femmes arrivèrent devant le poste de police main dans la main, leurs masques pailletés diffusant des grains de lumières grâce aux néons blanchâtres du bâtiment se reflétant dessus. Le crépuscule commençait à s'incliner, n'ayant pour effet que d'assombrir le Brouillard Permanent qui avait avalé le ciel depuis des années mais qui ne pouvait l'empêcher de continuer son cycle offrant des aurores roses, des midi cérulés et des soirs orange aux regards absents des rêveurs et aux vives pupilles des oiseaux qui, peut-être, survivaient au-dessus en gazouillant dans l'éther rempli de nuances.

« Bon j'y vais, commença Ophélie. Souhaite moi bonne chance et fais attention à toi.

- Toi aussi fais attention, répondit Malaïka.

- C'est marrant, nous nous sommes rencontrées comme dans un film et j'ai l'impression qu'on tourne la suite ce soir.

- Ce serait bien que ce soit le dernier opus. Pour éviter la suite de trop je propose qu'après on se repose un peu.

- Oui ça me paraît plus sage, ces franchises qui s'étirent ça finit toujours mal. »

Elles rirent et voulurent s'embrasser mais leurs masquent recouvraient leurs bouches souriantes. Néanmoins, elles s'approchèrent l'une de l'autre, Ophélie courba légèrement ses épaules, Malaïka s'éleva sur la pointe des pieds, et elles collèrent leurs traits dissimulés, mêlant les halos dorés et argentés de leurs protections qui s'unissaient en prenant la brume pour écran et les entourait de lucioles marbrées et délicates.


Ophélie pénétra la première dans le poste de police. Seul un homme en costume bleu attendait à l'accueil, affalé sur un comptoir, sa tête appuyée négligemment contre la paume de sa main. Apercevant Ophélie, il se redressa rapidement et se racla la gorge, imitant tel un singe indiscipliné rappelé à l'ordre, la posture d'un policier. Ophélie repéra immédiatement à son regard fade mais lubrique qu'elle lui plaisait et, pour attiser et profiter de son manque de discrétion quant à ses coups d'œil, elle ouvrit très vite son manteau écarlate pour dévoiler le décolleté souriant sur sa plantureuse poitrine. « Bonsooooir monsieur l'inspecteur ! S'exclama-t-elle d'une voix chantante et visiblement, mais faussement, ivre. Je me suis perdue ! »

Les lèvres des rêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant