XII
La tête de Malaïka était posée sur les cuisses d'Ophélie, assise sur le lit. Du bout de ses ongles, elle caressait son crâne, lui apportant un profond réconfort et un puissant apaisement. Elle lui transmettait, délicatement, avec ses ongles, des songes suaves entièrement construits de sensations voluptueuses et de sentiments affectueux.
« Ophélie, prononça Malaïka à mi-voix, à nouveau je suis désolée pour tout.
- Je te pardonne Malaïka. Je n'avais pas compris tout ce que cela impliquait pour toi.
- Quand je t'ai rencontré, j'ai vraiment voulu cesser de te voler. Je crois que c'était la première fois, depuis que j'ai commencé cette activité, que je n'étais plus constamment obsédée par l'idée de parcourir des synapses à la recherches de lueurs. La lumière était apparue dans ma réalité et il me semblait que c'était quelque chose vers lequel je voulais et, peut-être, pouvait tendre.
- Tu sais Malaïka, je crois qu'ensemble on peut avoir un avenir. Tu peux emménager chez moi si tu le désires, je peux t'aider à t'installer ailleurs si tu le souhaites... On peut te trouver un travail, tu peux ne rien faire en attendant de trouver un sens à tout ce qu'il se passe.
- Je n'ai pas cessé de vivre au jour le jour depuis la mort de mon frère alors ça me donne le tournis quand tu parles de lendemain. Positivement. »
Ophélie n'interrompit pas la régularité de ses caresses malgré le fait que les paroles de Malaïka venaient de profondément pénétrer son cœur d'empathie, d'amour, de compréhension mais aussi de choc. Ses empreintes contre son crâne, traversant ses doux cheveux, sentaient désormais la déchirure qui s'y trouvait, la béance par laquelle s'envolaient les rêves, le gouffre coupant le lien au temps, à la réalité. Elle se promit alors que par ses égards, ses tendresses, ses étreintes et ses baisers, elle ferait tout pour colmater cette brèche.
« J'ai passé tant de temps dans les rêves des autres que j'ai oublié d'en avoir les miens, soupira Malaïka.
- Alors laisse-moi te partager les miens. » Ophélie se leva du lit en déposant délicatement la tête de Malaïka sur le matelas onctueux, alla chercher l'une de ses énormes pochettes à dessins et se plaça devant son amante pour les faire défiler devant ses yeux.
Les paupières de Malaïka s'ouvrirent en grand, elle détendit tous ses muscles encore ankylosés et se laissa transporter, sans forcer, sans voler, par les traits d'Ophélie dessinant dans leurs mouvements musicaux un paysage imaginaire.
Malaïka vit des reines aux mentons fiers, marchant au bord de bleues rivières étoilées, dans des robes aux milles jupons ébouriffées, brodés de centaines de perles. Elle observa des dragons, dépliant leurs écailles sillonnées d'infinis reflets dans lesquelles se racontait l'entière histoire du monde, qui marchaient sur des montagnes d'ors et lapaient des diamants écarlates de leurs langues fendus, ne quittant jamais de leur prunelles ocres et reptiliennes les joyaux plus anciens que les êtres humains. Elle contempla de puissantes combattantes, juchées sur des chevaux au pelage scintillant, traversant des jungles aux feuilles d'émeraude épaisses, les traits hautains, les iris saturés, tandis qu'elles tenaient leurs arcs et leurs épées, qui diffusaient sur les branches brunes des reflets argentés.
Flottent les fées fluettes, fougueuses beautés,
Parées de leurs ailes de paillettes opales
Qui diffusent l'aurore aux rêves infectés.
Elles filent l'aube de leur laine impériale,
Brodent d'aiguilles de lumières le matin,
Tissent l'étoffe dorée du soleil d'orient,
Recouvrent l'éther infini d'un bleu satin,
Et drapent de folles lueurs l'éveil riant.
S'ouvrent et battent les noirs cils encore extasiés
De songes, de magies et d'espoirs oubliés
Qui pansent les blessures sinuant l'esprit.
L'ouvrage prodigieux s'infuse, mielleux
Dans les diurnes visions d'iris épris
Des lèvres stellaires du baiser merveilleux.
« C'est magnifique... Murmura Ophélie.
- Pardon ? Ce sont tes images qui le sont.
- Les mots que ta bouche y pose les subliment Malaïka.
- Je ne fais que recopier les couleurs que tu me dictes, il n'y a rien de beau à sortir de moi tu sais...
- Comment peux-tu penser que le néant t'habite alors que tu crées des sons et des rimes ? Malaïka, tu n'es pas aussi vide que tu le penses. Crois-moi. Ce n'est pas parce que je t'aide à voir ce que tu déclames que ce n'est pas ta langue qui lie entre eux mes brouillons de papiers. On pourrait travailler ensemble tu sais. Je dessinerais, tu parlerais, et on donnerait à tous le monde nos rêves, aux enfants, aux adultes, à n'importe qui... »
Ophélie prit l'une de ses grandes feuilles cartonnées sur laquelle de petites fées virevoltaient autour d'un nid d'oiseaux et, à l'aide d'un stylo, à même le sol, elle écrivit les vers susurrés par Malaïka. Puis, elle se releva, cacha le bas de son visage dans sa chemise de nuit en soie pourpre, ouvrit sa fenêtre, lança le dessin et la referma rapidement avant que le Brouillard ne parvienne à harponner sa respiration. Elle se colla ensuite à la vitre et regarda le papier flotter et fendre finement le gris de teintes et de lettres destinées à croiser de nouvelles mains, de nouveaux yeux, de nouvelles bouches.
Ophélie se tourna ensuite vers Malaïka qui fut furieusement traversée de passion en apercevant son immense et sublime sourire peignant ses joues de rose, ravivant ses yeux et guérissant sa gorge malade de la brume. Elle voulait dédier son existence à ces lèvres nappées de promesses, de mirages et d'amour dont elle adorait la couleur sensuelle, la forme lascive, le goût charnelle. Elle voulait aussi exister, pour elle-même offrir un être à chérir pour combler ces cheveux blonds, ces membres gros, cette voix aigüe.
Malaïka comprit que pour s'autoriser à souffler, pour se permettre de s'éprendre, pour s'accepter avec ses erreurs, son épiderme bigarré, son esprit endeuillé, il lui restait une dernière chose à faire. « Ophélie ? Appela-t-elle.
- Oui mon cœur ?
- J'aimerais montrer nos rêves conjoins à Imaé. Tu m'aiderais à la sauver ?
- Évidemment. »
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Les lèvres des rêves
Science FictionPêcheuse de songes, voleuse de mirages, Malaïka, virtuose dans ses méfaits, dérobe chaque nuit les rêves des autres pour les redistribuer, dans un futur où le Brouillard Permanent obstrue l'onirisme de la plupart des nuits. L'intrusion d'Ophélie dan...