VII

28 3 1
                                    


VII

Ophélie déambulait, hagarde dans son appartement. Sa tête ne la faisait plus souffrir car elle ne parvenait pas à la retrouver. Sa couverture d'ivoire pressée contre elle, elle traînait ses pieds nus contre le sol gelé duquel s'épanouissaient, sans prévenir, des fleurs. Les pétales maquillés de milles couleurs disparaissaient après plusieurs clignements d'yeux mais revenaient sournoisement tandis que des lierres grimpaient en formes ondoyantes et émeraudes contre les murs.

Le pur pollen pétille contre ses pommettes

Elle sursauta en sentant quelque chose frôler sa joue et se donna à elle-même une gifle par réflexe. Depuis son réveil, elle se trouvait assaillie de sensations fantasmagoriques directement issues du rêve qu'elle avait avalé. Il lui semblait que ses nerfs s'étaient imprégnés du jardin fabuleux, rempli d'oranges, de jaunes, de bleus, ayant éclot dans son cerveau et qu'ils n'arrivaient plus à s'en débarrasser, le confondant avec la réalité.

Le songe étranger lui ressemblait. Il portait tant la signature de son esprit inondé de courbes rondes surchargées de détails et de nuances que son crâne voulait se l'approprier, le mélanger à ses souvenirs, à sa propre invention.

La belle herbe baille le long de ses pieds

Elle poussa un cri en rejetant sa cheville en arrière, perdit l'équilibre et tomba au sol. Bien que plaisantes, les sensations qui l'étreignaient la terrifiaient et, pour la première fois, elle désirait boire le brouillard pour asphyxier cette fausse réalité se prétendant tout à elle. Elle connaissait déjà les rumeurs de rêves sous fiole mais jamais elle n'avait entendu la moindre personne évoquer un quelconque effet secondaire.

L'arôme rosé roule le long du palais

Par réflexe, Ophélie cracha et commença à pleurer, proprement horrifiée par la douceur qui l'entourait. Elle avait besoin de violemment se télescoper au quotidien et, en tremblant, osant à peine ouvrir les yeux pour ne pas voir germer ces plantes sublimes et odorantes, frémissantes sous un vent imaginaire, dégageant tous leurs puissants parfums, elle retourna dans sa chambre pour enfiler des vêtements. Elle ne fit pas attention à l'assortiment, aux couleurs, à l'harmonie de sa tenue, ne cherchant qu'un apparat de fortune pour fuir ce monde de beauté qui cherchait à la dévorer.

Elle ne voulait pas plonger dans ses hallucinations superbes, pensant qu'elles ne lui appartenaient pas, et elle rejetait comme elle le pouvait cette fausse mémoire épousant pourtant si parfaitement les vestiges de son enfance au soleil, avant la fumée, dans le jardin de ses parents. Les gros pétales, le désordre organisé des teintes et des silhouettes florales lui évoquaient brutalement ce lieu dans lequel elle jouait plus petite, avant que la brume ne commence à happer la terre fraîche, les corolles humides, les feuilles veloutées.

Le rire rayonnant du blond bambin résonne

« Non ! S'écria-t-elle. » Ce rêve viral cherchait à se calquer sur ses souvenirs et Ophélie craignait qu'il ne déforme ses douces réminiscences et ne les fasse passer pour vraies. Elle attrapa son masque et, sans enfiler son manteau rouge découpant sa silhouette dans le gris pour parer les rues uniformes, elle dévala ses escaliers eux-mêmes sertis de mousse verte, de racines ambrées, traversa son hall incrusté d'écorces brunes aux exhalaisons de sève de miel et s'engouffra dans le Brouillard blafard du matin.

À travers les nuages épais, aux effluves cendrés, aux formes floues, elle distingua une poudre colorée et luisante qui tourbillonnait, des lucioles de pollen Le vent libres et impétueuses, perçant subtilement voluptueux la grossièreté du paysage. Cette traînée d'étoiles embaumées s'approchait d'Ophélie, tétanisée vante les, pour rehausser tous ses sens, pour leur permettre de résister en puisant dans le passé et dans la splendeur de quoi braver la cage de brume violettes.

Comme dernier ancrage à une réalité qui lui échappait, Ophélie arracha son masque pour gober le spectre de poussières et emplir son corps du présent. La buée terreuse s'englua dans ses poumons et elle commença à brutalement tousser, décidée à ne pas bouger pour ramener son cerveau dans le monde. Elle ne réussit pas à se débarrasser entièrement des couleurs, le rouge ayant décidé de naître, saturé et collant, le long de ses lèvres.

Les lèvres des rêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant