XIV

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XIV


Malaïka prit une serviette couleur ivoire, la gorgea d'eau chaude et la passa délicatement sur la jambe contusionnée d'Imaé. Cette dernière, assise sur un tabouret, son dos nu appuyé contre le mur de carrelage froid, n'avait plus la force de bouger et elle s'endormait presque, ses yeux mi-clos. Elle avait accepté de laisser Malaïka la laver, ne supportant plus les senteurs de sueur, de peur et de sang qui avait imprégné ses vêtements usés.

Les parfums fleuris des savons d'Ophélie se déposaient désormais délicatement contre son pâle épiderme et leurs arômes fruités s'imbibaient dans les reliefs mauves de ses cicatrices enflammant ses bras et le haut de son thorax. C'était la première fois que Malaïka voyait l'étendue des marques de son amie.

Au début, Imaé, malgré sa faiblesse, ne voulait pas que Malaïka découvre son corps, non pas par pudeur mais parce qu'elle craignait de ne provoquer que du dégoût en elle. C'est en butant contre les limites de ses articulations éreintées, de ses tendons rompus, de ses os ruinés qu'elle avait accepté de laisser ses yeux se poser sur elle afin de lui porter assistance.

Malaïka n'avait ensuite pas éprouvé une once de répugnance en découvrant les stigmates d'Imaé. Dans ces ongles, phalanges, doigts, mains, poignets, bras, coudes et épaules flétris, se confondant en une dizaine de nuances incarnates, se mouvant en une centaine de lignes fines, larges, coupées ou allongées, elle n'observait qu'une belle paire de gants de velours, portée par une délicate altesse qui préférait conserver son plus bel accessoire même pour l'heure du bain. Le haut de sa poitrine, pareillement enrobé de teintes diverses, était quant à lui un grand collier de diamants scarifiés, aux facettes violettes, attirant le regard par son audacieuse beauté.

Ce qui l'effrayait, ce n'étaient pas ses brûlures permanentes, mais les différentes meurtrissures qui parsemaient le reste de son corps, les traces des coups qu'elle avait eu à subir ces derniers jours. Malaïka essayait de lutter contre l'envie de se gifler elle-même, de sortir de la pièce et de se punir, de plonger dans le Brouillard de le laisser la battre en infiltrant son corps pour le cogner de toute son épaisse fumée belliqueuse. Elle se pensait responsable des violences que son amie avait subies et cela provoquait un tel rejet d'elle-même qu'elle sentait que son cœur voulait passer au travers de ses barreaux d'os et la laisser gisante sur le carrelage froid, au pied de sa princesse japonaise.

Elle passait avec le plus de douceur possible sur les marques, peinant à contrôler les tremblements qui agitait ses mains constellées. La peur qui l'avait étreinte lorsqu'elle s'était jetée contre le garde au commissariat n'était rien à côté de cette terreur mordant tout son être, cette épouvante qui se nourrissait du venin de haine qui coulait dans ses propres veines, dans sa propre personne. Soudain, la main incandescente d'Imaé se posa sur la sienne alors qu'elle nettoyait sa cuisse, sur laquelle s'allongeait une gigantesque contusion violacée, brune et jaunie.

« Malaïka... murmura la jeune femme, la langue et la gorge trop épuisées pour émettre une parole plus forte. Tu n'y es pour rien. Le coupable, c'est Ethan, d'accord ? Les coupables ce sont les policiers violents, d'accord ? Comment peux-tu t'en vouloir d'être dans une relation de dépendances aux rêves alors qu'on n'a jamais cessé de te les arracher ? Je ne t'en veux pas, tu n'as pas à t'en vouloir. » Malaïka sentit une marée violemment salée bouillonner dans son estomac pour remonter vers son visage. Elle réussit à arrêter cette vague piquante à l'orée de ses yeux, respira profondément et continua à s'occuper de son amie avec plus de calme, apaisée par ses mots.

Une fois le bain terminé, Malaïka aida Imaé à s'habiller d'un pyjama prêté par Ophélie, puis elle lui mit ses gants, qu'elle insistait à toujours enfiler, et elle l'escorta jusque dans le lit pour l'y allonger. Avec douceur, elle la borda et repartit sur la pointe des pieds en fermant la porte coulissante qui menait au salon.

Les lèvres des rêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant