II
Ophélie se réveilla avec l'impression d'avoir eu le crâne essoré. Elle pensait avoir été raisonnable, hier soir, sur les cocktails, mais il semblerait que mesurer ses limites lorsqu'il s'agit de s'amuser n'avait jamais été son fort. Péniblement, elle sortit de ses draps blancs qui glissèrent sur sa peau pâle pour s'étaler sans bruit sur le sol en vinyle tressé de sa chambre. Ses neurones étaient vides de sa nuit comme si rien ne s'était passé entre le moment où, légèrement titubante, elle s'était affalée sur son matelas, et l'instant présent, où elle émergeait, peu fraîche, l'haleine pâteuse et les yeux collants.
Elle sentait un mal de crâne tirailler ses tempes qui n'était pas dû à l'alcool mais à une séquelle plus profonde liée au creux de son sommeil. C'était comme si elle s'était endormie trop loin et en avait tout oublié. Auparavant, elle émergeait souvent les neurones remplis d'idées et d'images se tissant parmi les étoiles de ses synapses joyeuses, dansantes et multicolores dès que la lourde nuit ténébreuse et brumeuse obstruait le monde. Désormais, c'était comme si son cerveau se réfugiait dans un cocon opaque puis durcissait, ne donnant plus rien, mourant quelques heures lorsqu'elle fermait ses cils.
Cette incapacité à rêver était de plus en plus répandue, elle le savait bien, mais elle ne pensait pas un jour en être atteinte. Certains soirs, encore, elle parvenait à composer des êtres tout en songe qui lui permettaient d'affronter plus sereinement le Brouillard Permanent ayant effacé les teintes et nuances du paysage.
Ophélie se dirigea vers son miroir pour se parer de diverses crèmes, cacher les cernes sillonnant sous ses prunelles vertes, rehausser le rouge de ses pommettes blafardes. Elle peinait à supporter son regard de plus en plus insipide à mesure qu'il était assoiffé de mirages. Délicatement, avec les manières exagérées et distinguées qui l'animaient depuis toujours, selon sa mère adorant raconter comme dès ses 3 ans elle levait le petit doigt en buvant à la tasse, elle remonta son carré court de cheveux blonds rebiquant légèrement avant ses oreilles et épousant en dégradé sa nuque, mit bien en place sa frange au-dessus de ses sourcils et se décida à rêver de nouveau en s'installant à son bureau.
Ophélie était illustratrice de livre pour enfants. Elle se sentait chargée de la mission de leur apprendre les carnations, les tonalités et les motifs qui les aideraient à supporter l'évanouissement du monde. Chaque dragon émeraude et vermeil, chaque princesse aux mèches d'ors scintillantes, chaque château composé de milles pierres cérulées, roses et parmes avaient la charge de s'imprimer dans leurs rétines puériles et leur permettre de créer un monde plein de pigments et de vigueur.
Elle déplia calmement une feuille entièrement blanche, ouvrit ses palettes d'aquarelle, trempa les poils noirs de son pinceau dans l'eau et attendit. Mais sa cervelle tarie n'arrivait pas à être hydratée des gouttes de peinture et elle ne savait plus à quoi correspondaient les couleurs ni quelles formes pouvaient exister. Par instinct, elle n'était tentée que par l'idée de tremper les poils rugueux dans le carré noir et griffonner des vagues grisâtres sur ce fond blanc qui feraient onduler le papier, humides, fades, floues. Elle pesta de frustration et quitta son plan de travail.
Elle ne pouvait pas rester enfermer dans son appartement. Ses plantes artificielles lui semblaient insipides, ses tableaux criards ne comblaient plus la morosité du dehors, ses meubles vernis et lustrés s'effaçaient dans ses murs. Il fallait qu'elle sorte. Rapidement, elle enfila une longue jupe bleu clair qu'elle serra avec une ceinture épaisse afin de mettre en valeur ses formes larges avec ses hanches dodues, ses fesses rebondies, ses grosses cuisses puis sa poitrine opulente qui surmontait sa taille et se maintenait sur ses épaules rondes et gracieuses. Elle termina de boutonner son chemisier blanc traversé de motifs de tournesol d'un jaune saturé, réveillant l'éclat de ses propres cheveux blonds, puis elle enfila ses talons pourpre, son manteau écarlate, attrapa ses lunettes nocturnes et son masque, sur lesquelles elle avait collé de nombreuses paillettes, afin de sortir, prête à combattre le brouillard dans son armure arc-en-ciel.
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Les lèvres des rêves
Ciencia FicciónPêcheuse de songes, voleuse de mirages, Malaïka, virtuose dans ses méfaits, dérobe chaque nuit les rêves des autres pour les redistribuer, dans un futur où le Brouillard Permanent obstrue l'onirisme de la plupart des nuits. L'intrusion d'Ophélie dan...