Lundi 12 décembre 1887, la brosse
Il fait froid, je suis seule, c'est une renaissance. La gare est déserte, les flocons s'accumulent sur le quai et, sous l'aurore, seuls les rails tremblent. Cela fait bientôt six mois que j'ai eu dix-huit ans, la majorité et la vie me tend les bras.
Mais malgré cela, je décide de quitter ma famille et de fuir mes responsabilités, celles qui m'ordonneraient d'obéir à un homme toute ma vie en attendant son retour des champs et d'élever des enfants à bout de bras.
Non, je préfère partir, rien ne me retient et puis découvrir le monde m'intéresse, même si la peur du futur m'étrangle au fur et à mesure que je quitte ce villages. Dans le bruit fracassant du train, les flocons semblent ralentir, car la vue de cet engin m'impressionne, je n'ai jamais vu de train et, pour la première fois, je vais voyager.
Cela fait huit ans que je travaille chez tante Alice, à m'occuper des vaches, des mauvaises herbes, des cultures et cela m'a montré que je ne voulais pas de cette vie-là et grâce au peu d'argent gagné de me payer un aller pour l'Angleterre. Je ne sais pas vraiment ce qui m'attend là-bas, mais je suis mon rêve, je veux voyager et découvrir de nouveaux horizons.Je monte les quelques marches ; là, je découvre un wagon empli de sièges de velours rouge, aux armatures dorées et ivoire. Je dois avoir l'air étrangère à ce monde luxueux. Avec mon manteau de vieille laine, et ma robe de coton, je ne dois tromper personne, les regards se posent sur moi. Heureusement, je traverse seulement ce dernier pour rejoindre la seconde classe, je trouve ma place et j'essaye de poser ma malle, remplie de livres et de vêtements, sur les portes-bagages. Déséquilibrée par le poids de cette dernière je ne peux me résoudre à resté debout ; les mains de cet homme sur ma taille m'empêche de choir. Ma valise n'a pas cette chance et tombe dans un bruit sourd sur le sol, laissant surgir alors les quelques ouvrages que j'avais emballés dans un foulard de ma mère.
Je me retourne vers le bel inconnu qui m'a empêché de vivre le même dessein que ma malle. D'un pâle sourire et de quelques mots, je le remercie, sans même lever un sourcil, il se dirige vers son siège d'un air hautain accompagné de son amie. Il me laisse alors à genoux, penchée sur ma valise à ranger au plus vite mes vêtements alors échappés de celle-ci. Après quelques minutes de dure labeur, j'arrive tant bien que mal à poser ma valise au-dessus de mon siège. Une fois assise, je retire mon manteau gris et le pose sur mes genoux. Dans le calme de l'hiver je peux enfin me résoudre à regarder le matin se lever créant alors un oxymore avec les flocons qui tombent sur les rails déjà très enneigés. Je me mets alors à rêver de mon avenir qui semble plus lumineux que ma vie depuis ma naissance.
Mes yeux usés par l'impatience et la fatigue se closent lorsque le train démarre. Je m'éveille une heure après les jambes engourdies, mais réchauffées par ma cape grise. La campagne a déjà laissé sa place à la ville, je m'émerveille devant les grandes boutiques et les femmes habillées avec du taffetas. Elles flânent, ombrelles à la main accompagnées de leurs gouvernantes qui semble accablées sous la charge de paquets tous plus beaux les uns que les autres. Comme je les envie ! J'aimerais être à leur place et n'avoir rien à faire de mes journées. J'aimerais aller faire les grands magasins ou encore boire du thé et discuter de banalités avec des Comtesses et des Duchesses.
Mais, moi, je ne peux pas me reposer sur mes lauriers, pas encore. Mon train s'arrête bien sûr à la capitale pour quelques heures. Je prends donc la liberté de vagabonder dans les petites ruelles mythiques. Ici, on y entend, les poètes réciter des vers sur la cime du mont, on peut entendre si l'on tend l'oreille le bruit des sabots sur les pavés tous uniformément identique. Je n'ai que peu de souvenirs de ma vie de parisienne, mais je sais que l'art y règne en maître principalement dans le quartier d'Apollon et de ses muses.
Il me faut à présent me rendre à la gare du nord, pour prendre mon deuxième train pour Coquelles, une petite ville côtière où je pourrai prendre un bateau pour l'Angleterre d'ici la fin de la journée. Le Trajet jusqu'à la gare puis en train fut sans intérêt. Ainsi je regardais pendant les 3 heures les paysages défilés à la fenêtre.
Une fois arrivée à Coquelles, je sors du train et regarde les horaires du prochain ferry pour Hastings. Ce dernier part à neuf heures demain matin et il est ... seize heures, j'en profite alors pour me trouver une auberge dans laquelle je peux proposer mon aide contre un hébergement pour la nuit. Les aubergistes ne sont point sympathique et utilisent un langage de charretier pour me refuser l'entrée. Je dois trouver une autre solution pour cette nuit.
Non loin de la plage, je remarque une petite ferme à laquelle je m'empresse d'aller toquer. Là, une petite grand-mère avec une robe haillonneuse et un fort accent nordique vient m'ouvrir :
- Bonjour ma p'tite, pourquoi viens-tu à ma porte ?
- Bonsoir madame, voyez-vous, j'ai quitté la ferme de ma tante ce matin avec seulement 15 francs en poche pour la durée de mon séjour. Pourriez-vous m'héberger en l'attente de mon ferry, demain ? Contre quoi je vous rendrai quelconques services que ce soit.
- Écoute, j'ai justement besoin d'aide pour nettoyer mon grenier, si tu t'en occupes, tu pourras y passer la nuit.
- Merci beaucoup Madame.
- Ah et appelles moi Cécile.
- Bien Mad... Cécile. Je ne me suis pas présentée et je m'en excuse, je suis Ange Caritas.
- Le souper est à huit heures, ne sois pas en retard !
- Puis-je utiliser votre salle d'eau s'il vous plaît ?
- Oui, bien sûr c'est la première à droite après les escaliers.
Sur ces mots, je m'y suis dirigée avec ma malle. Faisant attention à ne pas faire geindre le plancher sous mes petits talons noirs.
La salle de bain est simple, un lavabo en terre cuite, une baignoire en fonte, quelques bougies et une glace brinquebalante.
La personne que je perçois dans ce miroir devant moi ne semble plus me ressembler. Certes, je reconnais mes cheveux blonds, ondulés et emmêlés par le trajet, aussi, je vois les taches de rousseur ternies par le froid de l'hiver qui parsèment ma peau comme des constellations.
Or face à moi-même, je remarque toutes mes imperfections, la pâleur de mon teint, mon nez retroussé, ma bouche fine et triste qui semble vouloir s'effacer de mon visage et enfin, mes yeux. Ces yeux, qui m'ont causé tant de torts au village depuis que je vis chez tante Alice. Ces yeux bleu azurs avec, au milieu du gauche une tache brune. Une fois remarqué, on y reste attaché, bloqué, net. Elle hypnotise ceux qui se risquent à l'observer d'un peu trop près et lorsque je la regarde en m'approchant du miroir, j'ai l'impression de la voir danser au creux de mon iris comme si elle aussi cherchait la liberté pour laquelle je suis partie du foyer. Il me semble même qu'elle est enfermée dans une cage de bleu dont elle veut fuir mais, est bloquée par la nature, souvent bien cruelle.
Ma robe noire contraste avec la blondeur de mes cheveux. C'est la seule robe en ma possession, elle a grandi avec moi, heureusement, je vais pouvoir m'en acheter une nouvelle avec l'argent que je gagnerai. Il est de coutume de porter le deuil un an mais, je n'ai jamais eu l'occasion de confectionner de nouvelles toilettes, même si mes parents m'ont quitté, il y a déjà 8 ans. Il faut que je me ressaisisse, j'ai beaucoup à faire. Je monte les derniers marches de l'échelle et décide de me mettre au travail, pour cela, je tresse mes cheveux et retire ma robe pour ranger sans risquer de l'abîmer. Je suis donc en caleçon avec mon justaucorps. Je commence donc par passer le balai puis j'utilise une brosse de crin pour m'atteler au plancher poussiéreux. Dans un coin de la pièce un lit avec un matelas de paille m'attend depuis bien trop longtemps, je dois taper ce dernier avant de chercher dans une grande armoire de pin des draps sûrement brodés aux initiales des aïeuls de la fermière. Je trouve de magnifiques draps en coton blanc cassé, certainement qu'ils ont été ternis par la poussière et le temps. Je fais le lit et j'ai à peine le temps de sentir la paille sur mon dos, que Cécile m'appelle pour venir l'aider aux fourneaux.
Donc, après une heure acharnée à nettoyer de fond en comble cette mansarde, je remets ma robe et descends mettre le couvert. J'ai laissé mes petits talons dans le grenier pour ne pas faire trop de bruit dans cette vieille ferme. Lorsque, je finis de mettre les plats et les couverts, je m'assois sur l'un des bancs qui gisent de part et d'autre de la grande table de bois. Plus loin à côté de la cantine, la grande cheminée réchauffe toute la maison. Sur la table, j'ai mis 4 couverts à la demande de la matriarche.
- À LA SOUPE ; cria Cécile de la cuisine.
S'en suivit des pas vifs qui dévalèrent les escaliers en manquant plus d'une marche. Un petit garçon de six ou sept ans vient se poster en face de moi sur l'autre banc.
- Maman, c'est qui ça ?
- Jacques...
- Merci encore Madame Cécile de me permettre d'occuper votre grenier pour la nuit.
- Tu sais ma p'tite, je n'ai pas beaucoup de visiteurs alors j'en profite.
Je me retourne vers le petit Jacques pour qu'il comprenne pourquoi je monopolise son logement ce soir.
- Je suis Ange, je vais dormir dans ton grenier ce soir, car je prends le ferry demain, ta bonne-maman m'y a autorisé. Ne t'inquiète pas, je serai silencieuse.
Lorsque Cécile commence à servir la soupe de choux, toute discussion est remplacée par les cliquetis des cuillères dans les plats.
La porte s'ouvre bruyamment et laisse alors le vent s'engouffrer dans la bicoque de Cécile. Un homme de grande envergure se tient là, devant la table dans des habits salis de boue et de paille.
- Cécile qu'est-ce qu'on mange ? J'ai faim et j'veux vite aller me coucher, demain, j'vends les moutons au port.
- Ça arrive Louis, assied-toi. Tiens, et ça, c'est...
- Ange Caritas, je suis de passage, je prends le ferry demain. Votre épouse m'a permis de coucher au grenier ce soir, vous ne remarquerez même pas que je suis là.
-Hum.
Il ne répond pas à ma présentation, il est peut-être fatigué après une journée de dur labeur, je ne vais pas plus l'ennuyer. Le reste du dîner se déroule dans le silence et est ponctué par les crépitements du feu. Lorsque la pendule sonne vingt heures, Louis part se coucher et Cécile pose le petit Jacques près du feu.
Je décide d'aider Cécile à laver les plats.
- Ange ?
- Oui ?
- Pourquoi tu es habillée en noir ma petite ?
- Mes parents sont décédés il y a huit ans et je n'ai pas eu le temps ni l'argent de me racheter des vêtements à ma taille.
- Je suis désolé pour tes parents, c'est pour ça que tu es partie de chez toi ?
- Je ne voulais pas suivre les volontés de ma tante, je voulais découvrir le monde.
- Que s'est-il passé pour que tes parents périssent ? un accident de cheval ? Une famine ?
- Non, à vrai dire, je ne me souviens plus tellement de mon enfance, mais je crois que j'étais chez ma tante ce soir-là. Elle m'a souvent raconté qu'un bandit avait essayé de voler nos biens et que mes parents ne se sont pas laissés faire.
- Écoute ma p'tite, j'avais une fille avant, elle est partie faire sa vie avec homme et enfant à Paris. J'ai quelques vêtements qui pourront t'aller. Si tu les veux, je te les donne, ils ne me sont plus d'aucune utilité ici.
- Merci madame Cécile, c'est très gentil de votre part. Et ça me touche de voir qu'il existe des personnes de votre qualité encore de nos jours.
Sur ces derniers mots, nous partons nous coucher. En remontant jusqu'au grenier, Cecile me tend un grand nombre de vêtements en me disant de prendre ce que je voulais car, cela ne manquerait à personne. Une fois bien installé en chemise de nuit dans les draps, je fixe la fenêtre où les étoiles scintillent. J'entends Cécile qui chante une berceuse à son fils d'une voix froissée par le temps. La beauté de la chanson me vole mes derniers brins d'énergie. Je ferme enfin les yeux après cette longue journée et m'endors plutôt rapidement malgré la téléophobie qui m'étrangle.Je me réveille en sursaut, je ne sais pas quelle heure il est, mais la lune brille de mille éclats. Je viens de faire un rêve abominable, les larmes perlent sur mes joues rougies par le froid. La fenêtre est grande ouverte et les larmes commencent à se figer. Je me dépêche de la fermer. Il y a quelques étoiles dans le ciel, mais il fait nuit noire, c'est étrange, car j'aurai juré qu'en me réveillant, j'avais vu la lune. Je continue à regarder par la fenêtre en essayant de distinguer la mer ou les champs, mais c'est impossible, les deux se confondent dans le paysage.
Soudain, derrière moi, le parquet grince, je me retourne avec hâte, et je remarque à nouveau cette lumière qui m'aveugle. Il y a quelque chose qui illumine le tas d'habits que Cécile m'a donné avant de se coucher. Pourquoi la lune est elle dans ma chambre au lieu d'être dehors ? Je m'avance vers le tas avec prudence et appréhension. Je commence à fouiller dans les poches des robes puis je tombe sur un petit tablier où dans une poche, je remarque le reflet du metal argenté semblable à la lune. Une clé qui brille comme la lune ? La petite clé argentée que je prends dans le creux de ma main possède une instruction...
« quaerit claves regni caelorum »
Je ne comprends pas ce que cela veut dire. Je décide de la garder et de me rendormir, j'espère en apprendre plus demain après quelques heures de sommeil supplémentaire.
À SUIVRE...

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ANGE et le royaume des clés
Siêu nhiên12 décembre 1887 c'est l'anniversaire de Ange, elle a 16 ans et décide de quitter la ferme de tante Alice pour découvrir le monde. Elle découvre alors une mystérieuse clé qui va la conduire dans de folles aventures. Accompagnée de Gabriel, Maz' et N...