Es se réveilla en sursaut, le cœur battant à la chamade et le front trempé de sueur. Sentant l'odeur familière de sa chambre et la douceur de ses couvertures, elle se mit à respirer calmement. Ce n'était qu'un cauchemar. Mais un cauchemar qui lui avait semblé si réel. Toute la scène, elle l'avait vécu du regard de la femme assassinée de sang-froid par une mystérieuse force. Es avait senti le bout de verre transpercer sa gorge comme si c'était la sienne, le sang couler sur ses doigts et sa vision se brouiller quand la fin fut venue. Mais elle n'avait pas seulement ressenti la souffrance physique de la jeune femme, mais également son déchirement intérieur lorsqu'elle avait aperçu le corps crucifié de son ami fut beaucoup plus fort que n'importe quelle blessure.
Le soleil commençait à percer au-delà des rideaux couleur crème de sa chambre. Dans quelques heures, elle devrait reprendre les cours. Après avoir passé quatre mois cloîtrer chez elle, mettre un pied dehors lui donnait la boule au ventre. Une boule qui ne faisait que grossir plus les minutes passaient. Elle passa une main sur son front et fila sous la douche.
Elle se regarda dans le miroir. Son corps meurtri portait les cicatrices de sa douleur, ses cheveux noir ébène tombaient sur ses épaules, ternes et sans vie. Sa peau blanche luisait sous l'éclairage mettant en avant ses cernes sombres sous ses yeux qui étaient si éclatant autrefois. Un bleu intense mélangé à un vert profond, qui rappelait la pierre qui sommeillait dans le creux de sa poitrine, une labradorite véritable entouré de fils de cuivre ancien. Elle ne savait pas exactement d'où il venait, mais elle le portait depuis sa naissance. Jamais elle ne s'en était séparée, ayant une signification inconnue et étrange à ses yeux. Elle le prenait dans sa paume quand elle voulait se sentir forte.
Après s'être habillée rapidement, elle se recoucha une minute sur son lit pour respirer et réfléchir à comment survivre à cette journée. Les rideaux étaient toujours fermés, toujours depuis quatre mois. Le jour lui rappelait l'espoir et la joie, deux sentiments qui avaient quitté sa vie il y a peu. Les fleurs sur son balcon étaient mortes depuis un moment déjà. Et les murs blancs de cette chambre vide, vide de décoration et de personnalité reflétait l'intérieur son esprit. Es avait balancé chacune de ses affaires qui lui rappelait sa vie d'avant, il ne restait plus que son vieux lit, un bureau avec quelques affaires de cours inutilisées et une armoire. Les posters, les photos, les tableaux, la fantaisie avaient quitté cette pièce. Les murs avaient été repeints en blanc à sa demande, laissant loin derrière la peinture bleu clair. Cette chambre aurait pu appartenir à n'importe qui.
Une voix la tira de ses pensées.
"Es ? Tu viens, il va être l'heure."
Il s'agissait d'Eryn, inquiète pour sa fille, qui, sur les conseils de la psychologue, avait décidé de la renvoyer au lycée. La voir sombrer de jour en jour, se renfermant sur elle-même et rejetant toutes les personnes à qui elle tenait, était dur pour une mère. Elle avait pris sa matinée pour pouvoir l'accompagner jusqu'au lycée et régler les derniers détails de cette scolarité tardive. Le proviseur n'avait évidemment pas refusé l'inscription de Es, même s'il semblait dubitatif sur la capacité de cette élève à rattraper son retard et réussir son examen. Il avait mobilisé les professeurs pour rester attentif à cette élève particulière et qu'il fallait garder motivée. Ce qu'ils ignoraient tous, c'est que ce n'est pas les cours que redoutait le plus Es, c'était les élèves. Et quoique qu'il puisse vouloir faire, le proviseur ne pouvait changer le regard des gens. Elle se préparait depuis le jour où sa mère lui avait apprit qu'elle reprendrait les cours mi-novembre. Affronter ces regards intrigués et intrusifs était sans doute dans ses capacités.
Pour toute réponse, elle ouvrit la porte et la suivit dans les escaliers. Sa chambre était à l'étage sur une mezzanine qui dominait le salon. Celle de son frère et de sa mère étant au rez-de-chaussée. Même avec cette distance, ils entendaient tous deux les hurlements nocturnes causés par les cauchemars incessants de Es. Ce n'était pas toutes les nuits, mais assez pour être présent dans leurs vies et hanter leur sommeil. Eryn, qui était médecin à l'hôpital du coin, avait dû mettre en pause sa carrière pour s'occuper de sa fille torturée. Elle faisait ses heures de préférence la nuit, et son frère Simon prenait le relais les nuits où elle n'était pas présente. L'organisation de la maison tournait maintenant autour d'elle, mais elle était dans l'incapacité de s'en rendre compte et de faire des efforts. C'était trop récent. Mais la situation devait changer. Sa mère commençait à rencontrer des difficultés à subvenir seule à une famille de deux adolescents. Il lui fallait reprendre le travail normalement, et pour cela, il fallait que Es retourne au lycée. Et la psychologue avait émis cette idée au même moment.
Le petit-déjeuner était déjà prêt, mais Es attrapa une tasse et versa l'eau brûlante de la bouilloire sur un sachet de thé. Son frère avait déjà terminé et se préparait à partir. Quand elle rencontra son regard, elle tenta un sourire qui devait plus ressembler à une grimace. Simon était quelque peu maladroit avec elle, il ne savait ni comment réagir ni quoi faire avec elle. Il l'aimait trop pour prendre le risque de faire quelque chose qui puisse la faire craquer ou replonger. Il s'inquiétait tout autant que sa mère, mais sa façon de faire face était bien différente. Il n'avait pas mis sa vie en pause. Il était doué pour faire semblant que tout allait bien, et il était encouragé par Es qui souhaitant qu'on ne sache pas ce qui se passait réellement chez elle.
Quelqu'un toqua à la porte, lui rappelant son rêve de cette nuit, Es sursauta et laissa tomber sa tasse de thé au sol la brûlant au passage. Une tache d'eau se forma sur son jean et quelques gouttes tombèrent sur le carrelage dans un petit bruit d'eau. Ce bruit se rapprochait fortement du sang qui coulait du corps mutilé de l'homme, glissant le long du mur pour atterrir dans la flaque déjà formée. Alors que Es était replongée en plein dans sa vision, une main sur son épaule y mit fin.
Es rouvrit les yeux, et soupira de soulagement en apercevant Lys. Son ami était venu la soutenir pour cette reprise. C'est lui qui avait sonné. Elle vit sa mère arrivée derrière elle, avec cet air inquiet qui ne la quittait plus. Elle semblait attendre une explication.
"C'est... cauchemar, réussit à articuler Es."
Sa mère hocha la tête, comprenant ce qu'il se passait. Ce n'était pas la première fois que certains souvenirs de ses rêves refassent surface en pleine journée. Eryn jeta un regard entendu à Simon, qui se voulait discret, mais que Es avait intercepté. Elle voulait qu'il prenne soin d'elle et ne la quitte pas des yeux pendant cette première journée. Elle se tourna ensuite vers elle.
"Ça va aller ? dit-elle sous la forme d'une question, mais qui sonnait plus comme une tentative de se rassurer."
Es n'eut pas besoin de répondre, sa réponse n'aurait jamais pu la rassurer. De toute manière, sa mère était déjà partie chercher son manteau et son sac. Elle regarda enfin Lys dans les yeux qui lui avait encore la main sur son bras. Il lui dit qu'elle devait se changer en vitesse s'ils ne voulaient pas être en retard. Ils n'habitaient pas très loin du lycée, et habituellement, ils y allaient à pied, mais ce matin, ce serait leur mère qui les amènerait.
Es monta se changer à l'étage et au moment de passer la porte d'entrée, elle prit une grande respiration et attrapa son collier dans sa paume.
"C'est partit, pensa-t-elle"
VOUS LISEZ
ES
ParanormalEs avait dix-sept ans quand elle a vécu un événement traumatisant. C'était il y a quatre mois, un jour d'été comme les autres où elle était sortie avec son ami. Aujourd'hui, elle est obligée de revenir au lycée et faire face à aux conséquences. Cha...