Chapitre 7

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Es hésita une seconde, avant d'attraper sa main.

"Et moi, c'est...

- Es. Je sais, l'interrompit Adrian en souriant."

Elle plissa les yeux de méfiance. Laisser un inconnu l'approcher n'était pas dans ses habitudes, mais celui-ci lui inspirait confiance. Même si elle resterait sur ses gardes quand même. Elle retira sa main de celle d'Adrian, ne voulant qu'il s'imagine avoir conquis son amitié.

"C'est que, depuis que je suis arrivé dans cette ville, on ne parle que de toi. Ta réputation te précède, rigole-t-il."

Toute la méfiance de Es disparut à la fin de cette phrase. Elle rigola aussi silencieusement, sachant très bien aux rumeurs auxquelles il faisait allusion. Pendant un instant, elle avait oublié la scène qui s'était déroulée chez elle et elle était même parvenu à rigoler de la situation.

Tout n'est peut-être pas perdu finalement.

"Une réputation basée sur un meurtrier. Gé-nial."

Si Adrian était arrivé au début de l'année, alors il avait eu tout le temps de découvrir ce qui lui était arrivé. Elle espérait juste qu'il n'avait pas pitié d'elle. Il n'y avait rien de plus horripilant que la pitié. A la limite, elle préférait nettement la haine contre elle que certains pouvaient ressentir. Mais comme Adrian avait abordé le sujet avec légèreté et insouciance, aucun de ces deux sentiments ne correspondaient.

En silence, ils se remirent en marche vers le parc. Il n'était plus très loin. Es ne savait pas trop ce qu'elle comptait faire là-bas avec lui, elle voulait juste sortir pour se défouler et extérioriser toute la colère qu'elle ressentait. Mais maintenant que Adrian était avec elle, ses plans étaient compromis. Et pourtant, elle continuait de marcher à ses côtés en direction du skate-parc abandonné.

"Alors pourquoi sors-tu aussi tard un lundi soir, mystérieux inconnu ? demanda Es sarcastique, mais aussi intriguée."

Adrian réfléchit quelques secondes à ce qu'il pouvait répondre, essayant sûrement d'analyser le sens caché des propos de Es. Toujours sous le regard intrigué de la femme qui cheminait à ses côtés, Adrian répliqua en mettant les mains dans les poches de son jogging :

"Et bien, habituellement, je fais ce chemin en courant, je trouve ça plus agréable en soirée. Mais ce soir, comme je ne suis pas seul, je peux faire une exception et marcher.

- Tu t'entraînes, c'est ça ? T'es dans l'équipe de basket ou un truc comme ça ?

- En quelque sorte, mais non, je ne fais parti d'aucune équipe, c'est pour canaliser mon énergie, on va dire. Mais toi, tu fais quel sport ? demanda-t-il à son tour."

Es fut surprise par sa question. Il est vrai que ce genre d'interrogation est commun chez des adolescents normaux, mais cela faisait bien longtemps qu'elle ne se sentait plus normale. Et cela faisait aussi longtemps qu'on ne lui avait pas posé une question en rapport avec sa santé mentale ou physique. En même temps, elle n'était pas sortie de chez elle depuis un moment. 

Adrian remarqua son hésitation, et au moment où il allait retirer sa question elle lui répondit :

"Je faisais de la boxe, mais c'était avant... tout ça, fit-elle en agitant les mains dans l'air.

- Tu devrais reprendre. C'est toujours utile de savoir se défendre.

- Je sais déjà me défendre, alors si ton projet, c'est de m'enlever en plein milieu des bois oublie tout de suite."

Son ton était blagueur, mais empreint d'une certaine méfiance. Adrian le sentait, elle était en train de le tester. Pour voir si elle pouvait lui faire confiance. Es ne referait pas deux fois la même erreur. Ce soir, elle se laissait aller, mais elle savait que ce n'était qu'un moment de répit avant l'apocalypse.

"Je ne cherche pas à te kidnapper si tu t'inquiètes pour ça. Je viens de me rappeler que mon frère a un sac de frappe au sous-sol, alors si un jour, tu as besoin de te défouler n'hésite pas. On est voisin après tout, proposa-t-il un sourire dessiné au coin de la bouche."

Es ne répondit pas, mais hocha la tête. Elle allait y réfléchir.

Ils arrivèrent au parc quelques secondes après. Seul un vieux lampadaire dégradé éclairait l'endroit. Le reste était entouré de forêt. Deux bancs trônaient l'un en face de l'autre, chacun d'un côté du parc. Évidemment, c'était désert. Il arrivait que quelques chats traînent par ici, mais aucun humain. Sauf, Es et ses amis. Et comme aujourd'hui, un ami de Simon à qui il avait dévoilé leur cachette secrète.

Ça ne dérangeait pas Es plus que ça. Si Adrian était bien un ami de Simon, alors elle serait amenée à le revoir assez souvent. Mais ça l'étonna que son frère ne lui ait jamais parlé de lui. Elle avait entendu sa mère parler des nouveaux voisins, mais Es n'avait écouté que d'une oreille. A ce moment-là, elle était encore incapable de se concentrer sur autre chose que son malheur. Et c'était triste à dire, mais ce n'était que la triste vérité. Elle arrivait à en sortir petit à petit. Et peut-être que de faire de nouvelles connaissances l'aiderait à récupérer sa vie d'avant.

Mais le souvenir des mots du shérif lui revint en tête : "nous n'avons jamais retrouvé de corps". C'est ce qu'il avait dit avant que la tête de Es se mît à exploser. Jamais elle ne trouverait la paix, avant que cette ordure soit morte et enterrée. Jamais elle ne réussirait à dormir paisiblement sans cauchemars avant qu'il ne soit derrière des barreaux. Le retour à la normale dépendait de ce malade mental. Cette idée la fit frissonner de dégoût. Elle était liée à cet homme depuis ce jour-là. Ce jour d'été, qui avait si bien commencé et qui avait fini en cauchemars.

Es secoua la tête pour faire taire ses pensées, comme si cela suffisait pour faire disparaître ses problèmes.
Mais il est vrai que parler sans arrière-pensée à un inconnu était plutôt plaisant. Et sa compagnie agréable. Il parlait d'un ton toujours posé et souriant. Il ne semblait pas mal intentionné. Mais il restait cette aura autour de lui, qu'elle n'arrivait pas à définir. Une aura chaude et réconfortante qu'elle n'avait jamais ressentit autre part. Il fallait qu'elle en sache plus sur lui pour comprendre ce lien étrange qui les unissaient.

Tout en discutant de l'arrivée d'Adrian dans cette ville, ils firent demi-tour pour rentrer, et le long du chemin, éclairé par la lueur de la Lune, Es prit une décision.

Demain, je vais voir le shérif et on va attraper ce fumier.

ESOù les histoires vivent. Découvrez maintenant