Chapitre 5

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"Pardon ?"

Es était bouleversée. Pourquoi le shérif viendrait la voir à une heure aussi tardive à son domicile ? La situation devait être assez grave, ce qui réveilla le côté paranoïaque qui sommeillait en elle.

Sa voix trahissait son inquiétude grandissante et chaque instant passé sans réponse la faisait sombrer dans les bas-fonds de son esprit. Ses pensées tourbillonnaient dans sa tête, si bien que sa vue se brouilla quelques secondes. En un seul jour, beaucoup trop d'évènements se chevauchait sans lui laisser une minute de répit. La rentrée déjà difficile, accumulée avec l'annonce de Lys et les recherches, et maintenant ça. Elle n'avait jamais été trop douée pour gérer plusieurs situations difficiles en même temps.

Autour d'elle, personne ne comprenait ce qui était en train de se passer. Mais un seul regard entre Es et Lys suffit pour qu'ils devinent la raison de sa présence. Luna avait dit la vérité. Son père était bien sur la piste d'un assassin qui correspondait à sa propre description.

Alors Es se leva lentement de sa chaise, sa mère la suivant de près, et se dirigea vers le hall d'entrée. Elle aperçut alors le shérif, les cheveux grisonnants et l'air sombre, dans sa propre maison. Ça faisait longtemps qu'elle n'avait pas vu cette image. La dernière fois remontait à trois mois où après avoir pris sa déposition, il était repassé plusieurs fois prendre de ses nouvelles. Et puis il avait arrêté, et Es ne l'avait pas revu depuis. Ses sourcils froncés et ses lèvres pincées n'avaient pas changé d'un pouce.

Eryn s'avança tout en refermant le lacet de sa robe de chambre.

"Excusez-moi shérif, mais qui y a-t-il de si urgent pour venir nous déranger aussi tardivement ?"

Son ton n'était pas du tout accusateur, mais juste très inquiet. Cette situation n'avait rien de normale, les enjeux étaient graves. Et Eryn s'inquiétait des problèmes dont sa fille allait encore devoir faire face. Il avait fallu quatre longs mois avant qu'elle ne s'en remette partiellement. Alors quelle malédiction allait encore tomber sur sa famille ? Son instinct de mère protectrice la poussa à se rapprocher de la silhouette perdue de sa fille, et de lui poser une main rassurante sur l'épaule.

"Je ne serais jamais venu vous déranger si l'heure n'était pas grave, mais j'ai vraiment besoin de l'aide de votre fille, répondit le shérif en essayant d'être prévenant.

- Alors, entrer, je vous en pris, on va s'installer à l'intérieur."

Eryn fit signe au shérif de se diriger vers le salon, et en passant dans la cuisine elle intima l'ordre à Simon de monter dans sa chambre. Quant à Lys, pour ne pas déranger, il le suivit également. Le shérif s'installa sur un des fauteuils en face du canapé, et Eryn lui proposa quelque chose à boire. Il accepta et Es se plaça sur le canapé un plaid autour d'elle. Cette drôle de situation lui avait donné des frissons.

"Je suis ici pour te parler de ce qui t'est arrivé il y a quatre mois. Sache que je suis vraiment désolé de remuer le couteau dans la plaie en abordant ce sujet, surtout que j'ai appris que tu venais de retourner au lycée, mais il s'agit d'une urgence."

Il fit une pause et Es hocha la tête pour accepter d'avance ses excuses. Comme la nouvelle était déjà arrivé à ses oreilles quelques heures avant, le choc était déjà passé même si la peur lui tenait les entrailles. Sa seule consolation était qu'elle pourrait peut-être obtenir des réponses qu'internet n'avait pas réussi à lui fournir. Elle préférait connaître la vérité et tenter d'y faire face plutôt que l'on lui mente pour la protéger.

Le shérif continua :

"Depuis quelque temps, moi et les shérifs des villes aux alentours, pistons un tueur en série qui ne s'attaque qu'aux jeunes femmes. Sauf lorsqu'elles sont accompagnées. Sa façon de les tuer est toujours très cruelle et je passe les détails. Il est méthodique et ne laisse jamais aucune trace. Personne ne l'a jamais aperçu.

- Excusez-moi de vous interrompre shérif, mais quel est le rapport avec ma fille ? demanda Eryn en revenant de la cuisine avec une tasse de café bouillante dans les mains qu'elle posa devant le shérif.

- Merci. Et justement, j'allais y venir. Comme tu dois le savoir, il n'y a pas seulement des meurtres et des corps retrouvés, mais aussi des disparitions. Cinq jeunes femmes sont recherchées en ce moment même dans les villes voisines. Le seul lien que nous avons entre les victimes, c'est l'âge : de 18 à 20 ans et, je sais que c'est assez faible comme indice, mais toutes portaient un collier. Mais pas n'importe quels colliers, des pendentifs avec, au centre, une pierre précieuse. L'entourage des victimes dit qu'elles en portaient ce jour-là et que le collier avait disparu après l'incident. On leur a volé. Et ce détail ne m'aurait pas intrigué si vous n'en aviez pas parlé dans votre déposition."

Un déferlement de souvenir transperça son esprit, lui donnant des maux de tête. Il avait raison, elle avait bien parlé d'un collier qu'il cherchait, mais à l'époque elle pensait qu'il s'agissait d'une divagation de malade mental. Son souffle devint plus saccadé et elle s'emmitoufla un peu plus dans sa couverture comme pour se protéger.

"C'est vrai, il parlait toujours d'un collier, mais je pensais que c'était parce qu'il était kleptomane pas que ça pouvait être un mobile de meurtre, répondit Es en essayant de paraître calme."

De toute façon, cette histoire n'était pas possible. Il devait s'agir d'un imitateur. Mais le shérif devait déjà le savoir, alors pourquoi il venait la voir elle ? Rien n'était logique dans cette histoire.

Es se leva exaspérée. Elle tourna en rond pendant quelques secondes, les sourcils froncés et rongés par l'incompréhension.

"Bon, écoutez shérif, vous et moi savons également que ce type est mort il y a quatre mois. C'est un imitateur. Et je ne vous serais d'aucune aide cette fois."

Eryn suivait la discussion sans intervenir, elle connaissait cette histoire sur le bout de doigts et la réentendre une nouvelle fois faisait pression sur sa poitrine. Voir sa fille dans un tel état, après l'avoir vu sourire au repas lui déchirait le cœur. Elle, qui aurait pu trouver la paix, venait de sombrer dans les tréfonds de sa mémoire abîmée.

Le shérif caressait sa barbe de trois jours du bout des doigts, redoutant d'avouer une terrible nouvelle à une adolescente déjà fragilisée par les évènements. Il redoutait ce moment depuis maintenant quatre mois. Il n'avait pas osé en rajouter une couche après ce qu'elle avait vécu.

"Es, je suis vraiment désolé de vous apprendre cela seulement maintenant... mais..., hésitait-il."

Eryn fronça les sourcils et tourna son regard vers cet homme. Elle ne savait pas ce qu'il allait dévoiler. Il ne l'avait pas mis dans la confidence. Ce qui ne faisait qu'accentuer son inquiétude. Quel détail si important avait-il dissimulé ? 

"Vous nous aviez bien dit dans votre déposition qu'il était mort lorsque vous étiez partie, mais nous n'avons jamais retrouvé de corps."




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