Chapitre 6

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Là, s'en était trop. Es avait atteint sa limite. L'homme qu'elle croyait mort depuis quatre mois, ne l'était pas. Elle s'était accrochée à cette idée, pour sortir la tête de l'eau, comme une moule s'accroche à son rocher. Et maintenant elle apprenait d'abord qu'il n'était peut-être pas six pieds sous terre, mais qu'en plus il avait recommencé.

Cette fois-ci, l'air refusa de rentrer dans ses poumons. Son cœur battait à la chamade et sa vision se brouilla. Elle n'entendait plus ce qui se passait autour et n'avait pas remarquée l'arrivée en trombe de Lys et Simon qui avait entendu le cri de sursaut d'Eryn. Elle avait crié de peur pour la vie de sa fille, de peur qu'il s'en prenne à elle une nouvelle fois et de peur que cette fois-ci elle n'arrive pas à s'en sortir. Personne ne devait subir deux épreuves aussi dures dans une seule vie.
La nouvelle du shérif changeait la donne. On ne parlait plus d'un quelconque imitateur, mais du même meurtrier, un meurtrier qui voudrait peut-être la retrouver et se venger. Peut-être qu'il était déjà en chemin, et qu'il se rapprochait de jour en jour.

Es tomba à genoux sur le sol, incapable de reprendre son souffle. Le choc était trop fort. Elle, qui avait cru pendant un court instant à une lueur d'espoir.

Eryn intima l'ordre au shérif de partir, voyant sa fille incapable de répondre à n'importe quelle question à ce sujet. Elle lui dit que Es viendrait le voir à son bureau quand elle se sentirait prête à parler. Il comprit et partit d'un air désolé.

Es, toujours à terre, roulée en boule dans son plaid, attrapa la seule chose capable de la calmer. Elle prit dans ses mains son précieux collier. Il avait toujours eu un effet réconfortant, et elle ne comprenait pas pourquoi un homme voudrait s'en emparer. Jusqu'à ce jour, elle ignorait que toutes ces épreuves subies étaient en raison de ce collier, si cher à ses yeux et qui pourtant n'avait rien de particulier. Alors, Es avait conclus que ce n'était pas celui-là qu'il cherchait. Et c'est pour cela qu'il continuait le massacre, cherchant inlassablement la fille qui le possédait.

Mais tellement de questions restaient en suspend. Tellement de questions qui nécessitaient une réponse. Elle savait au fond d'elle qu'elle devrait s'impliquer dans cette affaire et aider le shérif à retrouver ce criminel. Elle s'accrocha à cette idée, qui l'aiderait à s'en sortir, et parvint à respirer de nouveau.

Lorsqu'elle releva la tête, tout le monde la fixait les yeux remplis d'inquiétude. Lys et Simon ne comprenaient pas vraiment ce qu'il venait de se passer, mais cette crise d'angoisse n'était pas quelque chose de nouveau pour eux.

Alors Es se releva lentement, tremblante et en prenant un air assuré dit :

"Je vais faire un tour, j'ai besoin de prendre l'air."

Comme tout le monde était encore sous le choc, personne ne réagit ou ne l'empêcha de sortir. Laisser quelqu'un de troublé en pleine rue la nuit n'était sûrement pas une bonne idée. Même si chacun d'eux savait qu'il n'y avait pas plus débrouillarde que Es.

Une fois la porte d'entrée passée, Es prit un grand bol d'air frais et se mit à marcher d'un pas fantomatique.

Pendant ce temps, Eryn raconta la scène aux deux garçons qui attendaient des explications. L'étonnement et la peur se lisaient sur leurs visages. Personne ne s'attendait à une nouvelle comme celle-là. Mais un autre sentiment naissait au plus profond d'eux : de la rancœur.

D'un pas lent et peu assuré, Es marchait dans les rues déjà sombres et vides. Ses pieds la conduisaient dans un endroit qu'elle connaissait bien : le skate-parc. Elle avait l'habitude de venir avec Lys, Liam et son frère les soirs d'été. Ils pouvaient passer des heures à faire du skate ou du roller, et à discuter. Chacun montrait ce qu'il avait appris aux autres et ainsi de suite. Il n'était pas très grand, la ville n'ayant pas de gros moyens, mais assez pour avoir quelques bancs et une ou deux rampes. Il était désert la plupart du temps, et surtout depuis qu'un centre commercial avait ouvert à la frontière avec la ville d'à côté. Les jeunes du coin préféraient traîner là-bas. L'endroit était maintenant délabré, mais ils aimaient toujours autant venir.

C'était donc l'endroit parfait pour respirer et réfléchir. Elle ne savait pas si elle devait avoir peur de cet homme, après tout, elle n'avait pas ce qu'il cherchait. Il ne s'en prendrait plus à elle, alors elle pouvait très bien faire en sorte d'oublier et de reprendre sa vie là où elle l'avait laissé. Mais, savoir qu'à quelques kilomètres de chez elle, des femmes subissaient le même sort, voire pire, que ce qu'elle avait subi lui déchirait les entrailles. Elle avait envie de pleurer de rage, de rage contre ce monstre. Sûrement un fou, qui poursuivait un but inconnu, mais qui ne s'arrêterait pas avant de l'avoir atteint. Es avait plongé son regard dans celui de cet homme, et ce qui l'avait frappée plus qu'autre chose, c'était surtout l'absence d'émotion. Il tuait machinalement, sans jamais sourciller, sans jamais remettre en question sa mission. Car il lui avait semblé qu'il s'agissait d'une mission. Qu'il ne faisait que répondre à des ordres, et Es avait exposé cette théorie au shérif, mais celui-ci lui avait répondu que "les tueurs en série travaillaient seuls". Mais, elle n'était pas sûre qu'il s'agissait réellement d'un tueur en série. Certes, il tuait avec plaisir, mais il ne cherchait pas le plaisir justement. Il cherchait un collier.

"Comme si un collier pouvait être une raison de tuer des êtres humains, c'est insensé, s'énerva Es en tapant dans une pierre qui traînait là.

- Ce qui est insensé, c'est de traîner seule au milieu de nulle part la nuit tombée, fit une voix mystérieuse derrière elle".

Es se retourna brusquement, et dans la pénombre, elle distingua une silhouette plus grande qu'elle. Ses contours lui firent tout de suite penser qu'il s'agissait d'un homme. Son premier réflexe fut d'envoyer son poing en plein dans la figure de ce type. Avec ce qu'elle venait d'apprendre, elle avait cru qu'il s'agissait du meurtrier au collier venue pour finir le travail qu'il avait commencé. Mais, avec plus de rapidité, l'homme en face d'elle avait intercepté le coup, attrapant sa main dans la sienne.

"Excuse moi, je ne voulais pas te faire peur, dit le garçon."

Es se dégagea de son emprise et fit quelque pas en arrière. Si ce n'était pas celui qu'elle croyait alors elle n'avait plus peur de lui. Elle se retourna et continua d'avancer.

"Quand on ne veut pas faire peur à quelqu'un, on s'annonce. Sinon ça fait psychopathe. Et comme on n'est pas dans un film, c'est plus flippant que cool, répliqua Es d'un ton froid et sans appel. Et tu ne m'as pas fait peur, j'ai juste été surprise."

Elle entendit aux pas de l'inconnu qu'il la suivait. Es avait fait exprès d'avancer pour le conduire sous un lampadaire où elle aurait pu le reconnaître. Quand elle irait porter plainte, il faudrait bien qu'elle puisse donner sa description.

Une fois sous la lumière, elle le reconnu instantanément. Il s'agissait du nouveau du lycée, qui, apparemment, était également son nouveau voisin. Elle se sentit légèrement soulagée, même si, au final, elle ne savait rien de lui. Il pouvait très bien être bizarre. Mais, elle se sentait en sécurité, son instinct ne lui disait pas de fuir. Ses cheveux auburn et ses yeux clairs se réfléchissaient sous la lumière du réverbère et lui donnait un aspect presque magique. 

Es voulait être seule, et être suivie par un mec bizarre ne faisait pas parti de ses plans. Elle avait peur de péter les plombs devant lui.

"En réalité, je ne te suivais pas. J'allais au skate-parc quand je t'ai vu, annonça-t-il d'un ton posé.

- Comment tu connais ? Ça fait longtemps que tout le monde a oublié son existence.

- Simon m'en a parlé, et je viens souvent le soir pour m'aérer, expliqua-t-il.

- Alors tu connais mon frère..."

C'était plutôt logique. Quand elle l'avait croisé dans les couloirs, il discutait avec le groupe de Simon. Et comme son frère est bon élève et sérieux, il était souvent désigné pour faire visiter le lycée et intégrer les nouveaux élèves. Il était plutôt sociable, et appréciait de s'occuper de cette tâche. Donc, c'était normal qu'ils se connaissent.

Es scruta ce garçon dont elle ne connaissaient toujours pas le nom et tenta de le décrypter. Mais, il fit un pas vers elle et tendit sa main avec un sourire :

"Recommençons. Salut, moi c'est Adrian."


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