Chapitre 8

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Arrivée devant le porche de sa maison, Es ne put s'empêcher de profiter de ce dernier instant de tranquillité en fermant ses paupières. L'air frais de la nuit et la lumière des étoiles l'avait apaisée. C'est tout juste ce qu'elle était venue chercher, fuyant cette réalité dangereuse et sournoise. Sa crise d'angoisse n'avait fait que réveiller ses peurs enfouies depuis plusieurs mois, mais Adrian avait réussis à les calmer sans trop savoir comment.

Es avait essayé de détourner la conversation sur lui, et même s'il s'en était rendu compte, il n'avait rien dit. Elle n'avait appris que quelques infos futiles à son sujet, rien de très personnel, mais elle se disait que c'était normal, ils étaient des inconnus l'un pour l'autre. Cela faisait tellement longtemps que personne ne l'avait traité comme une personne normale qu'elle le remercia.

Peu importait si Adrian comprenait la raison de son remerciement, mais il comptait pour elle. Es ne savait pas quand elle aurait l'occasion de lui reparler, car son emploi du temps semblait chargé. Attraper un psychopathe allait prendre tout son temps. Elle ne savait même pas si elle allait retourner en cours. Il fallait qu'elle en discute avec Eryn, alors pour cela, elle devait rentrer.

"Bon, je dois rentrer, à la prochaine Adrian, répliqua Es en faisant mine de partir.

- Bonne nuit, Es, répondit-il simplement."

Il ne posa pas de questions et rentra dans sa maison. Ce soir, elle avait compris qu'il avait un frère, aîné ou cadet, elle ne savait pas, mais il n'avait pas évoqué ses parents. Depuis qu'ils avaient aménagé, ils n'avaient fait aucun bruit. Es en avait déduis qu'il n'y avait pas d'enfant en bas-âge. Elle n'avait jamais cherché à les rencontrer, étant enfermée dans sa propre maison depuis plusieurs mois. Eryn était allé les saluer, et elle en avait possiblement parler lors d'un repas, mais la concentration de Es n'était pas à son apogée à cette période. Tout cela pour dire, qu'elle ignorait tout de ses nouveaux voisins. Mais ce n'était pas sa principale priorité.

Alors elle fit comme Adrian, et franchit le seuil de sa porte. En seulement quelques pas, elle se rendit compte du silence présent dans la maison. L'atmosphère était tendue. En arrivant dans le salon, elle vit sa mère et Simon assit sur le canapé.

"Lys est parti, il devait rentrer chez lui, expliqua Eryn en lisant dans les pensées de sa fille.

- D'accord, je lui enverrai un message."

Ne sachant pas où se mettre, Es se balança d'une jambe à l'autre sans trop savoir quoi dire. Elle voulait les rassurer en leur disant que tout irait bien, qu'elle ne re-sombrerait pas, mais elle ne pouvait pas leur mentir. Ses cauchemars la trahiraient, de toute manière. Alors elle s'assit sur le fauteuil en face du canapé, et prit une grande inspiration.

"J'ai décidé d'aider le shérif à retrouver cet homme, j'espère pouvoir passer à autre chose quand tout ça sera terminé.

- J'aimerais qu'on en discute sérieusement avant que tu prennes une décision Es. Ça peut être dangereux et je ne veux pas que tu risques ta vie une fois de plus, dit Eryn d'un ton qui se voulait autoritaire, mais qui reflétait la peur d'une mère pour son enfant.

- Surtout qu'on ne sait pas si ce type te cherche encore, c'est n'importe quoi ! s'énerva Simon en se levant."

Visiblement, ils avaient discuté pendant son absence, et Simon s'était fait un avis sur la question. Es connaissait l'ampleur de la culpabilité qui le rongeait depuis quatre mois. Leur relation avait complètement changé. Il n'avait pas pu protéger sa sœur, et il s'en voulait pour ça. Il ne voulait pas que ça arrive une deuxième fois, il ferait tout pour l'empêcher. Et chaque nuit, quand il entendait sa sœur hurler de peur, il sentait son cœur se serrer et se levait toujours le premier pour la réconforter.

"Bon, écoutez, j'ai bien réfléchis et je pense que le shérif ne me fera pas prendre de risques inutiles et puis il ne dira pas que je l'aide. Personne ne sera au courant. Il a besoin de plus d'infos pour l'attraper et je vais essayer de me rappeler de détails que je ne lui ai pas donné dans mon premier témoignage. Je ne risque rien."

Mais elle savait que l'effort psychologique que ça allait lui demander était énorme. Se forcer à revivre chaque instant de ce calvaire était bien au-dessus de ses forces. Elle le devait pourtant, pour ces femmes. Ces femmes qui avaient vécu les mêmes atrocités qu'elle, mais qui n'avaient pas survécu. Si Es pouvait aider à stopper ce massacre, alors il était de son devoir de tout faire pour trouver son agresseur. Même si ça lui coûtait sa santé mentale.

"Très bien Es. Je te fais confiance, tu connais tes limites. Mais je toucherai un mot au shérif tout de même, céda Eryn en se passant une main sur son visage anxieux."

Simon ne prit pas aussi bien la nouvelle, il se dirigea vers sa chambre et claqua la porte d'un geste énervé. De toute évidence, il pensait que sa sœur prenait des risques inutiles et qu'elle ne ferait pas le poids face à cet homme. Mais elle devait juste aider le shérif à son bureau, et ne pas partir sur le terrain.

Eryn se leva à son tour et après avoir embrassé le front de sa fille en pressant sa main sur son épaule, elle se dirigea également vers sa chambre. Elle aimait profondément sa fille, et ce qui lui était arrivé lui avait déchiré le cœur, mais elle avait toujours prôné une éducation libre et non-violente. Elle voulait que ses enfants apprennent à faire leurs choix, bons ou mauvais, et que, par conséquent, ils apprennent de leurs erreurs. Par contre, en contrepartie, elle leur demandait une honnêteté des plus totale. Et cela convenait très bien à Es et Simon.

Seule, dans le salon, Es prit les tasses qui trônaient sur la table basse et les mit dans l'évier. Elle monta ensuite les escaliers de sa mezzanine et se coucha à son tour. La journée avait été très chargée et forte en émotion. Mais Es était aussi fière d'elle. Fière d'avoir réussi à se maîtriser et d'avoir été forte tout au long des révélations. Maintenant qu'elle était seule, elle pouvait se laisser aller à ce qu'elle ressentait. D'abord de la rage, de la haine envers cet individu qui lui avait gâché la vie. Ensuite de la culpabilité, de refaire vivre cet enfer à sa famille et pour ces femmes qu'elle aurait pu sauver en se débarrassant une bonne fois pour toute de ce meurtrier quand elle en avait eu l'occasion.

Des larmes survinrent de ses yeux, incapable de les arrêter. Sa haine se déversait dans des flots de larmes, rappelant un à un chaque souvenir qu'elle aurait voulu effacer. Chaque cicatrice qu'elle portait sur son corps lui rappelait ses souffrances passées. Alors elle attrapa la lame de rasoir qu'elle cachait dans sa table de nuit, et comme il lui arrivait quand elle se sentait sur le point de craquer, elle s'entailla le creux de la main. Une fois. Pas assez profondément pour la blesser, mais le sang perlait quelque peu. Elle se calma aussitôt et reposa sa lame.

Es savait très bien que cette technique n'en était pas vraiment une, elle savait qu'elle n'arrangerait rien. Mais sur le moment, ça la calmait et c'est ce qui comptait. Vivre au jour le jour et survivre au lendemain. Elle portait en elle une blessure bien plus grave que celle sur sa main.

Allongée dans son lit, fixant le plafond, elle savait qu'une nuit tourmentée l'attendait. Alors elle pensa avant de fermer les yeux, observant une dernière fois la cicatrice sur sa main :

"Au moins, celle-ci ce n'est pas toi qui l'a faite"




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