Antologi Saint Valentines 2020

French Winners

Une lettre du front by @Hog_818

04 octobre 1915.

Ma très chère Rosalie,

Je suis parti depuis déjà un an, et votre absence commence à véritablement me peser. Ici, les temps sont durs. Nous pataugeons dans une boue qui semble ne jamais sécher et dormons dans un temps qui ne semble ne jamais s'adoucir. Seul votre souvenir qui a capturé mon cœur fait fondre la neige qui a prit possession de mon corps.

Cette distance me permet cependant de réfléchir à vous, à nous. Et le vide que votre cœur a laissé dans le mien est à la fois le venin qui l'empoisonne et le laisse se tordre de douleur, et le remède qui adoucit cette plaie à vif. Et c'est ce sentiment mêlant douceur et amertume, caresse et douleur qui ne fait que me rappeler la distance qui nous sépare désormais.

Ma douce Rosalie, j'aime à fermer les yeux pour imaginer votre regard qui me manque tant. La nuit, quand vous investissez mes rêves, j'ai alors le bonheur de sentir votre parfum, comme ramené à moi par une délicate brise. Et votre rire, votre voix qui aime tant chanter, je peine à m'en rappeler, comme le souvenir d'un rêve effacé que l'on n'aurait jamais voulu quitter. Seule la caresse du vent froid, si différente de la chaleur de votre main me rappelle à chaque instant la distance qui me sépare de votre présence. Et je suis triste de constater qu'il aura fallu que la guerre nous sépare pour que je réalise à quel point vous m'êtes nécessaire.

Il m'arrive, la nuit, de revivre de merveilleux moments qui ne me rappellent que les sentiments que j'éprouve à votre égard. Vous souvenez-vous du jour où nous nous sommes vus pour la première fois ? Au bord de cette rivière qui devint le point de rencontre de notre amour. Je me souviens que c'était un beau matin de printemps et que vous portiez une robe blanche. C'est alors que vous m'êtes apparue comme un ange venant illuminer ma vie et creusant son propre chemin à l'intérieur de ma poitrine que vous n'avez depuis lors jamais quitté.

Je regrette aujourd'hui de ne pas vous avoir suffisamment démontré mon amour, de ne pas vous avoir fait comprendre que c'était au rythme de votre cœur que le mien battait.

Je me languis de vous retrouver et de pouvoir vous serrer dans mes bras. Avant de vous quitter, je me pensais perdu entre différents sentiments et responsabilités menant à des interrogations qui aujourd'hui me paraissent si futiles. Mais désormais je me suis retrouvé et ai la certitude que quelques fois les questions sont compliquées, mais les réponses sont simples : je vous aime et ne pourrais plus supporter que vous soyez si loin de moi. Je vous fais la promesse, encore une me reprocherez-vous sans doute, mais celle-ci je la tiendrai quoi qu'il puisse m'en coûter, de vous épouser dès mon retour.

Adieu ma chère et tendre Rosalie, je vous aime et vous embrasse tendrement.

Votre Paul.

04 octobre 1919 :

Rosalie replia doucement la lettre jaunie et déchirée à certains endroits tant elle avait été lue. Assise dans l'herbe face à la rivière qui bordait le village dans lequel ils avaient grandi la jeune femme contemplait l'eau courante, laissant son esprit couler et se noyer dans ses réflexions.

Détournant le regard, elle le posa sur la place restée vide à ses côtés. L'herbe avait été brûlée et ravagée par la guerre, la narguant de ce qu'elle lui avait dérobé.

Paul.

Paul était parti combattre, la fleur au fusil, après lui avoir offert une dernière rose ainsi que la promesse de revenir dès que la paix serait signée. La fleur était désormais fanée, la paix signée et la promesse envolée. Paul n'était jamais revenu. Et c'est dans un sanglot que Rosalie ne put s'empêcher de se rappeler qu'il ne reviendrait plus jamais.

Pendant plusieurs mois, les deux amants s'étaient échangés de nombreuses lettres mais bien vite, Paul avait cessé de répondre à celle qu'il aimait. La jeune femme avait alors pensé que coincé dans les tranchées, il était difficile pour lui d'écrire, se disant que lorsque quelques semaines se seraient écoulées, le facteur viendrait et lui donnerait son Saint-Graal. Mais les semaines étaient devenues des mois qui s'étaient étirées en années.

Ce n'est que lorsque les cloches avaient sonné, annonçant finalement la fin de la guerre et le retour des soldats, que le cœur de Rosalie s'était emballé pour la première fois depuis que Paul avait cessé de lui envoyer de ses nouvelles. Elle l'avait alors attendu, sur les quais.

Les larmes coulaient désormais sur le visage légèrement bronzé de la jeune femme.

Aucun visage familier n'était venu la rejoindre dans la gare, seulement un homme inconnu. Il lui avait alors tendu une photographie jaunie, froissée et tâchée sur laquelle le jeune couple posait, dans leurs jours heureux, assis côtes-à-côtes sur les rives d'un cours d'eau.

« C'est vous ? » avait-il alors demandé. Et Rosalie n'avait pu qu'acquiescer, le visage déjà baigné de larmes, réalisant ce qu'elle se refusait d'avouer depuis tant de mois.

« Il a été capturé en octobre 1915 et envoyé en Allemagne en tant que prisonnier de guerre. Il est mort là-bas d'une pneumonie paraît-il. Avant de... nous étions amis, aussi m'avait-il demandé si quelque chose devait lui arriver, de venir vous voir et de vous donner ceci. »

Et le soldat était parti aussi rapidement qu'il était arrivé, laissant Rosalie dans la solitude et la tristesse. Elle avait alors ouvert le tissu et avait découvert un cœur sculpté dans du bois auquel était accroché un anneau.

Rosalie, qui portait désormais le bijou au doigt fondit de nouveau de larmes. Paul avait tenu sa promesse, même s'il n'était plus à ses côtés pour le voir.

Les cheveux volant avec le vent et les larmes dévalant le long de ses joues, Rosalie se leva et après une dernière inspiration saccadée par les sanglots, elle se retourna et s'éloigna de la rivière. Pour ne plus jamais y revenir : il était temps pour elle non pas d'oublier mais d'aller de l'avant, en acceptant l'absence de Paul. Au fond d'elle-même, la jeune femme le savait, Paul avait été son seul et premier amour qui durerait par-delà le temps, par-delà la mort.