Chapitre 1 : L'étoile du matin

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C'est souvent l'après le plus compliqué. L'après Second Impact, l'après-combat contre les Anges, l'après-soirée, la gueule de bois. Il n'y avait pas besoin d'être un génie doté d'un super-ordinateur pour comprendre que Misato était rentrée dans un état plus que second. Mais elle était tout de même parvenue à rentrer, ce qui était en soi une prouesse admirable si l'on prend en compte le nombre de verre. Le lendemain, c'est aussi la rechute, le dur rappel à la réalité, quand l'organisme se met à purger cette espèce de rêve éveillé qui monopolisait votre esprit pour reprendre son fonctionnement normal.

À vrai dire, le plus effrayant avec cette matinée, c'est la gêne. Une fois que l'euphorie laisse place à la raison, on commence à réfléchir sur ses actes. Erreur fatale quand on ne veut pas regretter ce que vous avez fait, surtout quand ce n'était pas une soirée anodine que vous pourrez oublier facilement. Dans le grand ordre des choses, ce n'était rien. Mais à l'échelle du fils du commandant Ikari et de l'allemande la plus fière que le monde a vu depuis le début du siècle, les évènements de la nuit précédente étaient quelque chose de ... différent. Parler de sa journée, de ses peurs, on peut finalement le faire avec ses confidents. C'est bien plus effrayant de parler de sa vie intime, surtout quand on est aussi à l'aise socialement qu'une armée de hérissons beaucoup trop proches les uns des autres.

Bien sûr, Misato n'avait rien remarqué cette gêne chez les deux adolescents dont elle se chargeait ou alors elle était trop occupée à décuver pour oser faire la moindre remarque, de peur de laisser transparaître son état. Loin de là l'idée qu'elle était elle-même une bonne sœur, la chasteté et la sobriété faisant probablement partie des deux mots qui n'apparaîtront jamais dans votre esprit lorsque vous pensez à la lieutenante Katsuragi. Néanmoins, jusqu'à preuve du contraire, il valait mieux garder les événements de cette soirée sous silence. Au mieux, cela attirera des remarques amusées des adultes ainsi qu'un crash du marché des photos d'Asuka qui s'échangeaient à prix d'or et qui avaient fait la fortune des deux amis de Shinji, Tôji et Kensuke, respectivement gros dur au cœur sensible qui comprend rapidement le concept d'offre et de demande et le nerd du coin « expert » en technologie militaire qui voyait dans ce business juteux un moyen de financer sa passion pour le modélisme. Ils exploitaient allègrement les hormones de leurs camarades pour qui cette fameuse Asuka au nom de famille imprononçable paraissait comme ni plus ni moins que Vénus en personne. Peut-être que c'était lié à une sorte d'exotisme de voir autre chose que des Japonaises, ou alors c'était son caractère approche-et-je-te-mord qui devait éveiller chez la gente masculine un mélange de peur et d'attraction, de la même manière que certains veulent se fairee traiter de...

Non, c'était simplement des adolescents, il n'y avait pas forcément à chercher plus loin. Dans tous les cas, pour éviter l'effondrement de l'économie lycéenne de Tokyo-3, il fallait absolument que cette relation reste secrète. Deux pilotes qui sortent ensemble et en particulier le timide un peu triste et ... Asuka, qui pouvait difficilement se contraster encore plus. Si cela pouvait déchaîner les passions, attirer l'attention du monde était quelque chose qu'Asuka et Shinji souhaitaient tous les deux éviter. Ne serait-ce que par peur des répercussions que cela pourrait avoir non pas à l'école mais au « boulot », si on pouvait appeler cette condition de pilote un travail et non pas une malédiction.

Évidemment, ils avaient bien plus en commun qu'une école, un foyer et la mission de combattre des abominations qui reste de détruire l'humanité dans des robots géants, mais ce genre de détail important était encore mieux gardé que la véritable nature de la NERV ou celle de la viande qu'ils ont mangé la semaine dernière. On finira tôt ou tard à le savoir pour la NERV, la viande en question relève probablement des connaissances interdites, celles qui vous amènent dans les royaumes de la folie et qui vous brise en un million de morceau, ou alors qui provoque votre disparition mystérieuse dans un accident suspect impliquant une corde à piano, une batterie de voiture, de la mort aux rat, un canon à positron volé aux Forces de Défense Stratégique Japonaise et le déploiement d'une mine N² par l'ONU pour couvrir les traces. En tout cas, c'est comme ça que les civils voyaient les attaques d'Anges, probablement pour leur bien, car la nature de ces monstres auraient vite fait de convaincre la Terre entière que ce combat est perdue d'avance et qu'il faudrait plutôt accueillir une douce mort à bras ouvert en acceptant le désespoir et le fatalisme de la situation.
Partager n'est peut-être pas le bon verbe. Contraster peut-être ? Ils avaient une manière de voir les choses qui s'opposaient mais finissaient en fin de compte par se rejoindre. Peut-être que le monde des idées est lui-aussi rond comme un ballon.

Vous deux, dansez comme si vous vouliez triompherOù les histoires vivent. Découvrez maintenant