Chapitre 5 : Julien observe les étoiles

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«Qu'est-ce que tu fous, Julien ?»

Un sursaut lui secoue le corps. Il n'a pas entendu le 'zip' de la tente, parce que Jérémy ne l'a pas fermée ; une grave erreur, parce qu'il fait particulièrement frisquet ce soir. Il a eu la même idée que Julien, à ce qu'il voit, puisqu'il se tient là, à genoux hors de la tente avec sa parka couvrant ses épaules, lui aussi.

L'hiver va être rude et impitoyable. Il le sent dans la façon dont le feu ne lui tient plus aussi chaud la nuit.

«J'écris, ça se voit pas ?»

Le crépitement du feu de camp a presque couvert sa voix, c'est dire s'il a parlé bas. Un chuchotement. Il ne sait pas pourquoi il a chuchoté, puisque Jérémy est réveillé.

Un bâillement. Puis Jérémy se place à côté de lui, face au feu. Il éclaire son visage en rouge, orangé et étire ses cernes d'une façon que Julien n'apprécie pas particulièrement. Il a l'air encore plus fatigué que d'habitude. Mais Jérémy tend le cou, plisse les yeux pour lire les mots sur la feuille.

«C'est pour le prochain épisode ?

- Oui, je me suis dit que j'allais en profiter pour avancer.

- A cette heure ?

- J'arrivais pas à dormir.»

Jérémy est circonspect, ça se voit qu'il le soupçonne de mentir, lui qui sait ce que c'est que l'insomnie. Pourtant il ne rajoute rien, il relira sûrement le tout le lendemain. C'est un perfectionniste, ce n'est pas qu'il ne fait pas confiance à Julien, mais il a besoin de tout vérifier. Surtout avec les analyses.

Le feu brille sur son visage, sur sa barbe, comme si elle allait s'embraser. Ce serait un terrible incendie, au vu du paillasson de jais qu'il porte. Déjà qu'avant, il ne se rasait quasiment jamais... Mais Julien le préfère comme ça. Il fait plus «homme». Plus clodo, aussi.

Jérémy est si proche de Julien que Julien sent qu'il pourrait se consumer comme le feu devant lui. Il force son souffle à se calmer, parce qu'il s'élève devant lui, visible comme la fumée du feu.

Julien se surprend à repenser à toutes les choses terribles qu'il a pu mettre sur le dos de Jérémy dans son esprit. C'est fou comme la haine qu'il avait, viscérale, brûlante comme de la lave, s'est évanouie. Elle reviendra peut-être quand ils seront retombés dans leur routine, quand ils auront le temps de se détester. Il y a toujours un petit quelque chose qui le chiffonne et sur lequel il n'arrive pas à mettre de mots, mais ce n'est sûrement pas de la haine.

Une sorte de ressentiment.

«Il faudra qu'on aille chercher du bois, Jérémy brise le silence, sa voix est tiède comme son souffle dans l'air. Y en a presque plus, ce serait con qu'on en ait plus avant novembre.»

C'est un «on» qui veut dire «je», c'est Jérémy qui sait quelles branches prendre. Sèches, donc les quelques infortunées qui sont tombées. Des feuilles, aussi, une bonne réserve de feuilles d'automne. Elles sont déjà toutes tombées. Il neigera bientôt, et alors ce sera trop tard.

«Je me suis dit qu'on pourrait demander un peu d'aide, en plus des vidéos, Julien tente.»

Jérémy ne répond pas tout de suite, puis :

«Un peu d'aide ?»

Ça ne dit rien à Julien non plus, de mendier. Ça tue son amour-propre. Mais les 120 000 euros restants ne vont pas tomber du ciel, et encore moins de leurs boulots respectifs au bistrot.

«On pourrait créer un utip, ça nous permettrait de pouvoir fignoler les analyses et payer la dette en même temps.

- Pourquoi pas.

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