Chapitre VI

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Je laissai échapper un gémissement. Puis le sommeil me gagna peu à peu, apportant avec moi de nouvelles images qui se précipitaient en désordre au confins de mon esprit : le cimetière ; une silhouette, grande et sombre, s'approchant de nous à toute allure ; Maéra et moi, poursuivi par elle ; le regard insistant d'Hayley ; ses crises de paniques ; cet homme dans les bois et si proche tout à coup...

- Non ! 

Je me suis redressé en sursaut. Une main tremblante dans les cheveux, j'essayais de reprendre mon souffle. C'était un affreux cauchemar, comme j'en avais eu depuis longtemps. L'image de l'homme n'avait pas quitté mon esprit, et les cris incessants d'Hayley continuaient à résonner dans mes oreilles aussi clairement comme si j'étais devant elle. 

Alors, encore envahi par les brouillards du sommeil, je me suis levée et je suis allé contempler l'obscurité à la fenêtre. Je ne perçus rien, pas le moindre mouvement. Tout était très calme.  

Mais prise d'un soudain malaise, je restais immobile, tous mes sens aux aguets. J'étais seule dans ma chambre... Et pourtant, j'avais l'étrange sensation que des yeux me fixaient. 

Je sentais une présence, derrière moi. Les paroles d'Hayley me reviennent en mémoire : "Non ! Va t'en ! Ne t'approche pas ! Tu es le diable ! Ne t'approche pas !" L'image de cet homme me revint en mémoire ainsi que cette forme sombre accompagnée d'un grognement sourd. 

Je fis volte-face et fouillais la pénombre, retenant ma respiration pour essayer de capter un bruit. Mais je ne vis rien, et n'entendis rien.

Ma chambre aussi moyenne qu'elle soit n'était plus qu'une pièce inquiétante aux contours imprécis. Au coin de la chambre, près du dressing, j'ai cru pourtant percevoir une vague forme. Tous mes sens étaient aux aguets, et chaque muscle de mon corps tendu à l'extrême. Je distinguais, ou cru distingué, une sorte de murmure. "Faites que ce soit mon imagination ou un rêve, un mauvais rêve". 

Je n'avais plus que deux idées : quitter cet endroit le plus vite et aller me réfugier dans la chambre de ma mère ou me mettre en position fœtale sous mon lit. 

Un danger rôdait, quelque chose de mauvais qui me voulait, moi. 

Je finis par percevoir un mouvement dans l'ombre, et mon cri resta bloqué dans ma gorge. La terreur, mais aussi une sorte de force que je n'aurais pu expliquer, me paralysais. J'ai regardé s'avancer vers moi, impuissante, une masse sombre. Puis, l'obscurité prit vie et forme et un homme apparut. 

- Bonsoir Eve, ça faisait longtemps.

La voix agréable, avait un léger accent canadien. Mais le ton employé trahissait sa bienveillance : il n'avait rien à faire de m'importuner. 

Un vent froid souffla dans la chambre. J'ai reculé brusquement. Un frisson de terreur me parcourut le dos. J'ai levé les yeux. 

- Qu'est-ce vous faites là ? Comment êtes-vous entré ? 

La fenêtre était pourtant fermée. 

- Ça vous arrive souvent de venir chez les gens sans être invité ? Demandais-je enfin. 

Il s'est rapproché lentement. Il était incroyablement bien habillé : d'un costume noir bien taillé, d'une belle cravate d'un rouge que l'on pourrait comparer à celui du sang, en passant par ses chaussures soigneusement bien cirée. Pas étonnant que je ne l'ai pas distingué dans l'obscurité. Il était très grand et bien qu'un peu mince, il était d'une corpulence parfaite. 

J'ai ensuite levé les yeux vers son visage et ce que j'en découvris me terrifiait effroyablement. Cet homme pourtant si bien habillé avait une totale absence de visage. Mais son air calme ne tarda pas à m'exaspérer malgré la peur qui me terrassait de l'intérieur.

- Je répète, comment êtes-vous entré ici ? Et qu'est-ce que vous faites ici ? C'est ma chambre, pas un hôtel.

- Je m'en excuse, j'étais en pleine mission... Personnelle.

Sa voix était dérangeante : calme, sinistre, ironique et amusée. De la cruauté s'en échappait.

J'ai reculé aussitôt une main devant moi pour le stopper.

- Mais je ne vous connais pas ! Pourquoi vous êtes ici ? M'écriais-je.

Je ne sais pas si je dois être terrifiée, gênée ou indignée.

- Partez d'ici !

Je savais que je devais immédiatement baisser d'un ton. Mais comme il ne bougeait pas, j'ai décidé moi-même de quitter la pièce.

- Vous êtes en colère, dit-il gravement. Je ne vous ai encore rien fait.

Il s'est rapproché de moi, si bien que je sentais son souffle : chaud, réconfortant, doux. Je me suis rendu compte que j'étais en train de le dévisager.

Pourquoi je ne sors pas de cette pièce ? J'en ai assez de ce petit jeu. Tout ce que je veux, à présent, c'est sortir d'ici. Je reculais déjà pour m'avancer vers la porte.

Mais le silence qui suivit accrut mon malaise. L'homme restait immobile à m'observer, sans un mot.

- Pour la dernière fois, vous êtes ici pourquoi ? Vous voulez que j'appelle la police ? J'ai été gentille, mais c'est terminé.

Un petit rire s'est échappé de lui. "Il trouve ça marrant ?" pensais-je agacer. Il me regardait fixement, d'une façon de plus en plus dérangeante. Je déglutis péniblement. Il n'a peut-être pas de visage, mais je pouvais facilement y déceler certaines de ses expressions. Il suffisait juste de regarder ses traits. Il murmura :

- Je suis venu pour toi...

- Comment ?

Les joues brûlantes et l'estomac noué, j'en oubliais ma question. Si seulement il arrêtait de me fixer de cette manière...

- Oui, je suis venu pour toi, répéta-t-il doucement.

Il franchit une fois encore la distance qui nous séparait en quelques pas.

Ma respiration s'accéléra. Il était si proche que je sentais un doux parfum mêlée a une odeur de menthe fraîche. Je n'arrivais plus à me détourner de son visage pourtant si vide. Lentement, il approcha son visage. Mes paupières s'alourdirent, mon regard se brouilla, puis ma tête me lançait.

Non ! Je me suis arrachée juste à temps de son emprise, avec l'impression d'être à bord d'un précipice. "Qu'est-ce qui se passe ? Me suis-je demandé, profondément troublée. J'ai presque laissé cet inconnu m'avoir...

J'ai tenté de maîtriser l'essoufflement de ma voix.

- Allez-vous en, s'il vous plaît. Je ne pense pas que vous aimerez avoir des problèmes avec la police.

Il me regardait bizarrement, avec une expression que je parvenais mal à déchiffrer, je pense, un mélange d'agacement et d'admiration. Mais il avait autre chose aussi, un air dangereux qui était loin de me rassurer. Il attendit que je lui ouvre la porte pour répondre d'une voix sérieuse, où plus aucune trace d'amusement ne perçait :

- Je reviendrai, Eve.

Lorsque que je me suis retourné, la chambre était vide.

Always Watching {Part 1}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant