Chapitre 8 - Partie 2

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TRISTAN

Mon deuxième retour à la vie se veut plus solitaire. Je me rends tout de suite compte qu'il n'y a plus qu'un seul corps sous les draps. Je jette un coup d'œil à mon téléphone. 11 heures. Je ne me suis pourtant pas assoupi longtemps.

J'arrive dans le salon avec peu d'espoir, mais j'ai tout de même un léger pincement au cœur quand je le trouve vide. Elle est partie. Enfin, si l'on note le fait que je n'ai vu aucun mot griffonné dans un coin du petit appartement, il conviendrait mieux de dire qu'elle s'est enfuie. Le calme qui m'a fait tant de bien ces derniers jours me paraît maintenant triste et angoissant.

Mon café fumant vacille dangereusement lorsque je me laisse tomber dans le canapé. Je remarque alors mon ordinateur ouvert sur la table basse. À l'ère du numérique, serait-on passé aux au revoir dactylographiés ? Ne commence pas à imaginer des choses Tristan, on parle de Lou Campbell là.

Après avoir déverrouillé l'appareil, je découvre le site d'un groupe de taxi. En plus de se montrer lâche, elle utilise mes affaires pour arriver à ses fins. Joli. En quittant la page, je tombe sur le compte PayPal avec lequel elle a certainement payé la note. Elle n'a même pas pris le temps de se déconnecter. Soit elle m'offre une confiance infinie, soit elle était pressée de décamper. Je ferme l'onglet, sans me rabaisser à la curiosité d'analyser les sommes présentes. Déjà remonté contre elle, une piqûre de rappel sur son train de vie bien différent du mien n'augurerait rien de bon.

Ses révélations de la veille me reviennent en mémoire. Dans deux mois, je ne serais même plus capable de payer mon loyer. Ma rancune matinale m'amène à croire à un énième mensonge de sa part, mais il faut que je me rende à l'évidence, je ne l'avais jamais vu si sincère. Je me demande ce qui a pu créer un tel froid avec sa famille. Elle semblait désespérée. Une nouvelle question à ajouter à ma longue liste sans réponse...

Une notification me signale l'arrivée d'un mail. Une aubaine pour penser à autre chose. Pitié que ce ne soit pas une publicité ou une de ces arnaques qui me met hors de moi, je suis déjà au top. Docteur Lupus. Mon tuteur. Avec leurs renommées dans le Sillon Valley, les tuteurs en informatique deviennent une denrée rare. Forcément, les boursiers comme moi doivent se contenter de professeurs d'option, peu importe si leur spécialité se trouve bien loin du cursus habituel. Je ne m'en plains pas vraiment. Je n'ai pas choisi l'astrophysique par hasard, le Docteur Lupus reste une référence, mais c'est surtout un tuteur exceptionnel. Je suis quand même surpris qu'il me contacte en plein Spring-Break.

Dès les premières lignes, je comprends de quoi il en retourne. La fameuse proposition de la veille. Les nouvelles se répandent vite sur le campus apparemment... Il me présente derechef l'offre de rencontre suggérée par mon enseignant de programmation, comme si son mail avait pu passer à la trappe. S'en suivent des félicitations et de vifs encouragements à saisir l'opportunité. L'opportunité... C'est le terme qu'a aussi employé Lou. Moi, tout ce que je vois, c'est la réduction de mon temps de révision, et l'énorme risque de mettre en péril mes études. Si ça marche, je serais tranquille pour l'avenir, c'est certain. Mais je dois assurer mes arrières. Je sais que dans ce pays, on n'hésite pas à te mettre dehors lorsqu'on a plus besoin de tes services. Et un mec de la classe moyenne, sans diplôme, n'a pas beaucoup d'espoir. Mais après tout, il ne s'agit que d'une entrevue...

Brosse-toi les dents. Mange plus de fruits et de légumes. Ne réponds pas à tes professeurs. Si tu veux vivre sans une autorité sur le dos, travaille bien à l'école. Cette fille se moque de toi. Surtout, ne bois pas trop ce soir, et tiens, prends ce préservatif. Tu sais t'en servir n'est-ce pas ?

On pourra dire que j'ai une véritable mère poule, comme il ne s'en fait plus. Impossible de le contester. Mais je ne peux pas non plus nier qu'elle m'a toujours offert les meilleurs conseils. Elle me connaît mieux que personne et s'est rarement trompée sur mes amis ou sur mes choix. Elle n'a aucune idée de ce que je fais de mon temps libre et n'apprécierait sûrement pas que je m'adonne à ce genre de projet au lieu de réviser. Pourtant, tout cela prend un nouveau tournant. J'ai besoin de son analyse, de son avis sur la question. À cette heure, ils ont dû quitter la plage pour rentrer manger. La sieste du début d'après-midi se veut sacrée pour ma sœur, comme pour mes parents d'ailleurs. C'est le moment ou jamais.

— Oui mon Titi ? décroche-t-elle.

— Maman... Tu ne crois pas que j'ai passé l'âge de ces surnoms ?

— Oh non, jamais !

Son ton se montre trop sérieux pour que je risque de la contredire.

— Vous avez passé un bon moment sur la plage ?

— Génial ! Il faisait super chaud, sans que le soleil tape trop fort. Ta sœur s'est éclatée !

— Je suis content pour vous !

Je me retiens de lui demander comment se porte ma Zoey, elle me sortirait sa rengaine sur le fait que je m'inquiète toujours trop. Qu'est-ce que j'y peux moi... Elle est entre de bonnes mains avec mes parents, je dois m'y cantonner.

— Dis maman, je voulais te parler d'un truc...

— Attends, cinq minutes mon chéri !

Je l'entends discuter avec mon père à propos du repas. Elle a toujours du mal à le laisser faire, alors qu'il n'est pas un si mauvais cuisinier, loin de là. Ma mère est un peu control-freak sur les bords.

— Tristan, il va falloir que j'aille aider ton père, il est en train de me massacrer ma salade.

— D'accord...

— Pas de soucis avec l'université j'espère ? Tes notes, ça va ?

— Oui, oui, tout va bien maman ne t'en fait pas.

— Parfait, c'est tout ce qui importe ! Désolée, je te rappelle vite mon Titi !

Et elle raccroche déjà. Je suis heureux de l'entendre aussi exaltée par ses vacances, ils en avaient tous besoin, mais pour le coup, j'espérerais vraiment l'avis de ma mère sur le sujet. Bref. Cela peut attendre. Ils ont mieux à faire.

Je guette son appel tout le reste de la journée. Pour éviter de trop me torturer l'esprit, je profite de la console que Ludo a laissée ici. Impossible de travailler mes cours ou d'avancer sur mon projet, aujourd'hui je m'accorde un peu de détente et quoi de mieux que les bons jeux vidéo de mon enfance pour ça ?

Perdu dans les travers de mon adolescence, je ne déroge pas aux vieux rituels et vais même jusqu'à m'endormir sur le canapé. Pour ma défense, je n'avais aucune envie de me confronter à l'odeur de Lou imprégnée dans toute la chambre. Elle ne m'a même pas envoyé de texto. Pas un seul depuis ce matin. Le message est clair.

Des coups contre la porte me font sursauter. Encore dans le brouillard de ma nuit perturbée par la vieille armature grinçante du sofa, je m'étale lamentablement au sol. Les coups reprennent, plus pressants. Putain. Le soleil est à peine levé, qui vient me faire chier ?

À contrecœur, j'ouvre la porte. Une tignasse blonde s'empresse de la pousser — mon corps au passage — et pénètre dans l'appartement, une valise à la main.

— Salut ! lance Lou, un peu trop fort à mon goût.

Cette fille causera ma perte. Je me suis fait à l'idée, depuis un moment. Mais je n'avais pas envisagé toute la torture qu'elle m'infligerait avant. L'horloge de la cuisine affine à peine 6 heures 30, si je me fie à mes yeux encore collés. C'est une blague ?

Drop the end | Terminé ✔Où les histoires vivent. Découvrez maintenant