LOU
Les actions les plus banales me demandent des efforts écrasants. Il fallait, pour s'ajouter à mes galères, que mon professeur référent me convoque. Je m'y attendais. Je n'allais pas pouvoir passer entre les mailles du filet encore longtemps. Pourtant, en quittant son bureau, je me sens désemparée. Moi qui croyais être devenu hermétique au jugement des autres, son sermon a plutôt bien fonctionné. Une honte étrange a pointé le bout de son nez après seulement quelque minute d'entrevue.
J'ai apprécié le Docteur Lupus dès la rentrée. Son parcours et sa thèse en astrophysique imposent forcément un certain respect. Mais c'est davantage son comportement à mon égard qui a fait grandir mon estime pour lui. Contrairement à beaucoup de vendus présents sur le campus, le professeur Lupus n'a que faire du statut social de chacun. Il m'a toujours traitée à la même échelle que le reste de la promo, sans s'inquiéter des répercussions que pouvaient avoir sa notation ou ses remontrances.
Or aujourd'hui, pour la première fois, j'aurais aimé avoir un référent plus corrompu. Mes absences répétées comme mes travaux perdus dans la nature ne lui ont pas échappés. Il n'a pas eu besoin d'élever la voix pour que je perçoive sa déception. Mon attrait pour sa spécialité a créé une certaine complicité entre nous. Jusqu'à présent il croyait en moi, ce qui rend ses reproches autrement tangibles.
Le bénéfice du doute qu'il m'a accordé quand je me suis assise face à lui, ainsi que ses inquiétudes, n'ont pas fait long feu devant mon silence agressif. Il a été clair, si je ne me reprends pas rapidement il y aura des conséquences, peu importe le nom de mes parents. Il ne peut pas imposer mon renvoi à ses supérieurs, mais du moins en ce qui concerne ses cours, je ne serais plus la bienvenue. Mes préférés. Je devrais me moquer de son avis. Ce rendez-vous n'était pas censé m'atteindre. Cela fait un moment que l'université ne représente plus l'aboutissement de mes rêves d'enfant. J'ai fait une croix sur tous mes espoirs. Pourtant, quand je referme la porte, mes mains tremblent.
Alors que je m'apprête à fuir ce couloir oppressant, je remarque que le nombre d'étudiants patientant devant son bureau n'a pas diminué. Il consacre sans doute sa matinée aux chers élèves dont il a la responsabilité. Combien vont avoir le droit aux félicitations et aux précieux encouragements qu'il me réservait jusqu'à lors ?
Une casquette attire mon regard. Il ne manquait plus que ça. Tristan se tient contre le mur. Nos yeux se télescopent aussitôt. Il ne semble pas surpris de me trouver là. Ce face à face muet fait déborder le vase déjà à ras bords. N'importe quoi, je refuse. Comme si cet étranger insignifiant possédait le pouvoir d'ajouter la goutte supplémentaire qui ferait aborder l'ensemble. Malgré tout, je sens les premières larmes mourir sur mes joues.
Avant de me donner en spectacle devant les protégés du Docteur Lupus, j'accélère vers la sortie du bâtiment. Une fois à l'extérieur, j'allonge mes foulées. Je cavale comme un pantin désarticulé, sans direction précise, dictée par mon instinct défaillant. Au-delà des nombreuses pensées qui s'entrechoquent dans ma tête, je perçois l'animosité du jardinier. Je me rends compte que je piétine les parterres de fleurs en coupant à travers « The Ovale », cette immense étendue d'herbe appréciée des étudiants.
J'atteins finalement Roth Way et son parking, hors d'haleine. Tandis que je tente de me rappeler l'emplacement de ma voiture, un autre véhicule quitte sa place dans une marche arrière furtive. J'ai juste le temps de voir le parechoc s'approcher dangereusement de moi avant d'être entraînée sur le béton froid. Ouille.
— Bordel, Lou !
La masse écrasée sous moi me dégage sur le côté. Je mets quelques secondes à reprendre mes esprits avant de constater que je connais l'homme qui se relève.
— Tristan ? Tu m'as suivie ? aboyé-je.
— Oh, mais, je t'en prie, c'était un honneur de te sauver la vie, réplique-t-il en étudiant les dégâts sur son coude. Je vois que tu es toujours aussi aimable.
— Pourquoi tu m'as suivie ?
— Bonne question, marmonne-t-il.
Je redresse sans douleur apparente. L'amorti offert par son corps m'a maintenue en bon état, contrairement à son bras qui n'a pas l'air d'avoir apprécié la rencontre avec le sol. Des gouttelettes de sang ruissellent jusqu'à ses doigts. Il jure en recherchant de quoi absorber ce massacre dans son sac.
— Tu n'avais pas rendez-vous avec Lupus. Tu attendais que je sorte du bureau, constaté-je pour moi-même.
— Si, j'avais rendez-vous. J'ai quitté la pièce juste avant que tu n'y rentres.
— Pourquoi ?
— Je fais partie du cursus informatique, mais je me suis inscrit en double parcours pour suivre les cours d'astrophysique.
Pardon ? Cela veut dire que nous partageons le même cours depuis le mois de septembre, plusieurs heures par semaine ? Les enseignements du docteur sont réputés, et ses amphis bondés. Je n'ai pas non plus l'habitude de prêter attention aux autres pendant les séances, je reste généralement totalement happée par son discours. Et lui, m'avait-il remarqué avant cette soirée du Nouvel An ?
Il note mon étonnement et semble obligé de préciser.
— Crois-moi ou pas, mais avant que tu ne me dises ton cursus, je ne savais pas que tu suivais son cours. D'ailleurs, même après ça, je n'ai pas eu l'impression que tu y assistes souvent... Du coup, quand il a convoqué certains de ces étudiants, j'étais plutôt surpris de te croiser là-bas.
— Ce n'était pas ma question. Je m'en fous des cours auxquels tu es inscrit ou encore de ce que tu faisais dans son bureau, le coupé-je sèchement. Pourquoi tu m'as attendu et surtout pourquoi tu m'as suivi ?
— Ah, ça. Je voulais des explications à propos des rumeurs que tu lances sur moi. Et après, je t'ai vu pleurer. Il faut croire que mon côté chevalier servant m'a encore joué des tours, sourit-il. Foutue fossette. Tout va bien ? reprend-t-il à voix basse.
— Oui. Ce n'était clairement pas nécessaire.
— Tu serais écrabouillée sous les routes de ce 4x4.
— Mais tu aurais un coude en bien meilleur état, lui indiqué-je en m'éloignant vers ma voiture.
Lorsque je démarre, je remarque qu'il n'a pas bougé. Il essuie sa blessure avec un tee-shirt de sport usé. Merde. Il a l'air de s'être quand même bien amoché. Il n'avait pas à me suivre non plus, on se connaît à peine. Son comportement est limite flippant.
Je passe à côté de lui au ralenti et les événements de ces dernières minutes s'imposent à moi. J'ai pété les plombs sans raison. Il n'a pas tort, j'aurais pu me faire tuer à cause de mon imprudence.
— Monte. Je te ramène, l'apostrophé-je à travers la vitre baissée.
— C'est bon, je vais me débrouiller.
— Allez, ton bras n'est vraiment pas beau à voir... Je suis désolée... Monte, s'il te plaît, bredouillé-je.
Contre toute attente, il acquiesce et fait le tour de la voiture avant de s'installer sur le siège passager. Qu'est-ce que j'ai encore foutu ?
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Drop the end | Terminé ✔
RomansaLou a essayé. Du mieux qu'elle a pu. Depuis sa naissance, on lui a appris à faire face, à bien agir. Manier les apparences pour masquer la réalité, elle connaît. Mais là, c'est trop. Alors qu'elle relit une nouvelle fois la lettre que sa grand-mère...