Chapitre 10 - Partie 2

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TRISTAN

Je me réveille dans une semi-obscurité. Peu après notre arrivée dans la chambre, nous nous sommes écroulés sur le lit. Le contrecoup du voyage. Nous n'avons pas pris le temps de tirer les rideaux, ni d'enlever nos vêtements. Désormais, le soleil commence à disparaître sous les nuages new-yorkais, mais le tumulte de la ville et ses multiples illuminations laisse croire aux couche-tard que la journée bât son plein. J'observe l'animation à travers la fenêtre. Central Park paraît encore plus immense à cette heure. Des coureurs surgissent d'entre les arbres. Des hommes et des femmes, qui ont sûrement troqué leurs costumes sur mesure il y a peu, décompressent dans des joggings tout aussi hors de prix. Même la simplicité d'une balade en famille ne semble pas trouver sa place ici. Les poussettes quittant le parc sont rarement accompagnées de jeunes couples, mais majoritairement de baby-sitters, étudiantes ou gouvernantes, qui se hâtent de retourner rendre leurs progénitures aux bourgeois du quartier. Une femme rousse, tout juste sortie de l'adolescence, retient mon attention. Agenouillée devant un gamin en uniforme, elle lui frotte le pantalon avec nervosité pour effacer les traces de gadoue. Elle craint certainement de s'asseoir sur un généreux pourboire si elle rend l'enfant dans cet état. Comme si, au vu des prestigieux écussons de la veste, les parents n'avaient pas un dressing rempli de modèles similaires. Je ne me sens pas à ma place ici. Je ne m'attendais pas à faire une entrée fracassante dans l'univers de Lou, mais j'en ai davantage conscience depuis mon arrivée.

Un gémissement plaintif me tire de mes réflexions.

— J'ai faim.

Il est assez rare qu'elle manifeste son appétit pour que je puisse l'ignorer.

— On ne s'est pas endormi longtemps, il est à peine vingt heures. On peut sortir manger, proposé-je.

— Je n'ai pas envie de sortir. Un room-service fera l'affaire.

Room-service. Je n'ai jamais utilisé ce genre de prestation. Même si l'agitation de la rue ne m'attire pas, l'air extérieur sera toujours préférable au parfum de luxe de cette chambre que mes narines ont de plus en plus de mal à supporter. Cependant, je n'ai pas la force d'entrer dans un débat. Cette journée m'a déjà dépouillé d'une grande partie de mon énergie.

— Très bien. Comme tu préfères.

Lou se redresse net sur le lit avant de scruter mon regard. Les mots m'ont peut-être échappés trop vite, laissant transparaître toute ma nervosité. Pourtant, elle ne dit rien. Elle se lève et gagne la salle de bain. J'en profite, pour moi aussi, remettre un peu d'ordre dans ma tignasse. Je l'ai légèrement coupée le mois dernier, mais la nature reprend vite ses droits.

— J'ai une meilleure idée ! lance Lou en revenant, à peine quelques minutes plus tard.

Elle a changé de tenue et a rassemblé ses cheveux dans un chignon désordonné. Malgré sa robe à pois, le style reste très décontracté pour la princesse.

— Ah ?

— Mets une veste, on va sortir !

Elle semble maintenant totalement réveillée de notre petite sieste. Presque excitée à l'idée de sortir. Je ne cherche pas à comprendre et la suis sans rechigner.

Dans l'ascenseur, elle regarde son téléphone. Je n'avais pas l'intention d'espionner, mais la longue liste de notifications me saute aux yeux. Elle lâche un soupir avant de fourrer l'appareil au fond de son sac.

— Un problème ?

— Mon père a eu vent de notre petite visite, ronchonne-t-elle.

— Et... C'est grave ?

Son sourire en coin n'a rien de rassurant, il me fait même froid dans le dos.

— Non, t'inquiètes. Mais disons que j'ai bien fait de suivre ton envie de sortie, ça nous évitera de le croiser tout de suite.

De le croiser tout de suite ? Merde. Je reste muet, malgré mes nombreuses questions. Alors que nous traversons le hall, je ne peux m'empêcher de jeter des regards inquiets autour de moi. Je regrette de ne pas m'être intéressé aux recherches de Brad, je pourrais au moins savoir duquel de ses hommes en costumes je dois me méfier.

Je ne reprends mon souffle que plusieurs centaines de mètres plus tard, quand nous sommes suffisamment enfoncés dans la verdure de Central Park. Ici, au moins, je pourrais facilement me cacher au moindre danger. Est-ce que son père est un danger ?

Lou s'arrête à la hâte nous acheter d'énormes hot-dog avant de m'entraîner encore plus profondément dans la végétation. Nous nous installons devant une petite cascade reculée. Loin des éclairages et du bruit des allées principales, pour la première fois depuis ce matin, j'ai l'impression d'être seul au monde.

— Waouh. C'est magnifique.

Je ne comprends pas sa réponse, marmonnée par une bouche déjà remplie de saucisse. Toute ma tension s'évapore miraculeusement quand je vois cette petite blonde, les lèvres recouvertes d'oignon frit. Je pourrais l'observer comme ça pendant des heures. Elle est magnifique. Si son caractère allait de pair avec sa beauté, elle serait sans aucun doute la femme parfaite. Malheureusement, mon estomac me rappelle à l'ordre, et toute mon attention se trouve désormais focaliser sur ce fabuleux hot-dog. Bordel. Comment un truc si basique peut-il avoir une telle saveur ?

— Je crois que ce qui me manquera le plus, déclare-t-elle les yeux pétillants face à son repas.

Qui te manquera le plus ? Tu ne comptes donc jamais revenir ici ?

Elle ne répond pas, pourtant son regard nostalgique vaut mille confirmations. Nous vivons notre escapade côte à côte, mais nous évoluons dans deux dimensions singulières. Pendant que je découvre les lieux de son enfance, elle leur fait ses adieux.

Nous poursuivons notre balade jusqu'au milieu de la nuit. Si je ne trouve pas les mots, ni le courage de me renseigner sur la suite de ses projets, je ne résiste pas à l'envie de serrer ses petits doigts dans les miens. Lou ne proteste pas, et au fil de nos pas, elle se détend même contre moi. Ce n'est que lorsqu'elle reçoit un mystérieux appel que nous reprenons le chemin de l'hôtel.

— La voie est libre. Mon père semble avoir abandonné l'idée de camper devant notre chambre, m'annonce-t-elle.

— Tu as des indics parmi ses propres salariés ?

— On peut dire ça. Apparemment, tu n'es pas le seul à me considérer comme une princesse à protéger, plaisante-t-elle en tirant la langue. 

Drop the end | Terminé ✔Où les histoires vivent. Découvrez maintenant