LOU
Les murs blancs. Le carrelage blanc. Les habits du personnel encore plus blancs. Comment veulent-ils qu'on retrouve la joie de vivre dans un tel endroit ? Déjà un mois que je foule le corridor central chaque matin. Je commence à connaître le numéro de chaque chambre, et le mal qui ronge son habitant. Mon psy aime bien prétendre que face aux pathologies des autres, je suis une petite joueuse. Pourtant, je réfute en silence cette hypothèse. Les apparences sont trompeuses. Qui peut avancer que je reste plus seine d'esprit que ce vieux monsieur souffrant de démence ? Je préférerais encore perdre pied avec la réalité pour oublier. Mes vices sont profonds, enfuis, et si je fais bonne figure c'est juste pour sortir d'ici au plus vite et recommencer.
Mes parents m'ont cloîtrée dans ce centre de luxe après ce qu'ils appellent mon « accident ». Non maman, je n'ai pas avalé tous ces cachets par accident. Depuis, je n'ai plus de nouvelles. D'un côté, ma vengeance a aussi ruiné leur réputation sur le passage de la vague médiatique. Gomez, quant à lui, a renoncé à sa candidature de sénateur, son cabinet d'avocat s'est effondré et sa femme la quitté. J'ai vu ce que je voulais voir, il était temps pour moi de partir. Je ne me sens pas mieux, cette thérapie ne sert à rien mis à part repousser l'échéance. Parce que contrairement à ce que je répète inlassablement au Docteur Malcove, je n'ai pas changé d'avis.
Pourquoi a-t-il fallu que Tristan rameute les flics chez moi ? De ce que mes parents m'ont dit, ils ont défoncé la porte du loft. Il aurait suffi de quelques minutes de plus. Juste quelques minutes que Tristan m'a refusées. Je savais que ce chapitre glissé sous sa porte était une mauvaise idée. Je me doutais qu'il aurait une incertitude sur sa véritable signification. J'ignorais seulement qu'il irait jusque là, et aussi vite. Je le déteste encore plus.
Il a voulu venir, à de nombreuses reprises. Sauf que la seule liberté qu'ils me laissent ici est de choisir mes visiteurs, c'est-à-dire personne. Pas mes parents, qui n'ont même pas refait le déplacement depuis cette après-midi-là. Pas le professeur Lupus qui, pour je ne sais pas quelle raison, cherche à me voir. Et pas Tristan. Surtout pas lui. Personne. Je pensais qu'il lâcherait l'affaire après quelques refus. Première victoire, il ne se pointe plus tout les jours, mais le Docteur Malcove continue de me faire part de ses appels quotidiens, pour savoir si j'ai changé d'avis. J'ignore où il a décoté son diplôme de psy pour penser que ce genre d'information aide à ma « guérison ». Je suis autant en colère contre Tristan que contre moi, c'est à cause de nos erreurs à tout les deux que je me retrouve bloquée ici. A cause de mon mauvais timing. A cause de ses actions. Bordel, j'espère que je pourrais bientôt me barrer.
Sur le chemin, je salue quelques infirmières d'un faux sourire avant de rejoindre le cabinet de Malcove. Encore une séance inutile, mais je préfère discuter de la pluie et du beau temps avec lui qu'assister aux thérapies de groupe ou aux sessions de sports.
— Lou, bonjour. Comment vas-tu aujourd'hui ?
Cette satanée question. Je me demande si certains de ces patients y répondent avec sincérité. Cela n'a aucun sens. Personne ne resterait ici s'il se portait parfaitement bien.
— Bien, répété-je pour la trente deuxièmes fois.
— Tu peux me citer la philosophie du moment avant que nous ne commencions ?
Ses philosophies. Je me pose vraiment des questions sur la provenance de son diplôme. Ce psy me fait répéter des phrases, plusieurs jours de suite, comme si elles allaient s'imprimer dans mon esprit par magie.
— Aujourd'hui, je compte faire de mon mieux. Me respecter et jongler avec les épreuves de la vie, soufflé-je.
— Très bien. Tristan a encore appelé, enchaîne-t-il. Il tenait à ce que tu saches qu'il a eu son année avec brio.
Ça, je le sais déjà. J'ai beau le détester, mes soirées sont longues et solitaires. Alors forcément, depuis que j'ai de nouveau accès à internet, je fais mes recherches. Et celle-ci comporte souvent son nom. J'ai vu sur le site de l'université qu'il a de nouveau fini premier de sa promo, ce qui ne m'étonne pas. Par contre, je ne sais toujours pas quelle décision il a prise pour son avenir. La question me démange les lèvres, mais je ne lui donnerai pas ce plaisir.
— Cool.
— Lou, qui est ce garçon pour toi ? me demande-t-il une nouvelle fois.
— Un harceleur, je suppose ?
— Moi, je ne crois pas. Tu n'arrives pas à cacher l'émotion dans tes yeux quand je parle de lui.
— Si vous le dites, grogné-je.
Honnêtement, à part la rage qui bouillonne à son égard, j'ignore de quelle émotion il parle. Je ne renierais pas les bons moments passés avec lui, ni même le fait que je suis clairement tombée amoureuse de lui. Pour la première fois. Avec une force effrayante. Pourtant, tout cela avait une date de péremption, et si je pensais effacer mes sentiments avec les médicaments, c'est plutôt sa mission sauvetage qui a mis le glas à toutes ces conneries mielleuses.
— Pour l'instant, tu as l'impression qu'il ne reste que le vide. Tu ne dois pas laisser de place au néant et encore moins le laisser te dévorer.
— Le vide me semble mieux que le reste, rétorqué-je.
— Le reste ? Tu veux dire ce que monsieur Gomez t'a fait subir ?
Nous y voilà. Il ramène toujours tout à Gomez. Comme si la solution miracle se trouvait dans cette époque de ma vie. J'esquive son regard en fixant les bibelots de son bureau. Encrier certainement jamais utilisé, dossiers qui s'entassent, ordinateur dernier cri, boîte de mouchoir. Un vrai cliché. Si ses yeux rencontrent les miens, il pourrait penser que sa question me touche. Sauf qu'il a tort. J'ai tiré un trait dessus en le voyant s'effondrer, c'est tout ce que je voulais.
— Tu ne souhaites toujours pas porter plainte ? reprend-il.
— Non.
— Tu sais que les autorités ne peuvent rien faire contre lui sans cette plainte ? Tes écrits ne suffisent pas.
— Je ne veux pas mêler la justice à ça. J'ai eu ma vengeance.
— Tu en es bien sûre ?
Je ne prends pas la peine de lui répondre, nous avons eu ce début suffisamment de fois. Je ne veux plus entendre parler de ce dégueulasse, ni de Tristan. Ces deux sujets favoris, en soi.
— Je pense qu'on en a fini pour aujourd'hui, annonce-t-il.
— Quoi ? Déjà ? Mais ça fait à peine dix minutes !
— Tu stagnes, Lou. Si tu ne veux pas t'ouvrir, je ne peux rien faire. Réfléchis-y et on en reparle demain.
— Vous êtes en train de me dire que si je ne porte pas plainte, vous ne considérez pas que je vais mieux et je ne pourrais pas sortir d'ici ? m'agacé-je.
— Non. Ce n'est pas ce que je dis. On en reparle demain, répète-t-il en me laissant seule dans son bureau.
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Drop the end | Terminé ✔
RomanceLou a essayé. Du mieux qu'elle a pu. Depuis sa naissance, on lui a appris à faire face, à bien agir. Manier les apparences pour masquer la réalité, elle connaît. Mais là, c'est trop. Alors qu'elle relit une nouvelle fois la lettre que sa grand-mère...