LOU
— Lou ! J'ai bien cru que tu avais mis les voiles ! Où t'étais passée ?
Oh non. Le campus s'étend sur plusieurs kilomètres. J'évite les points de rendez-vous et les lieux préférés des étudiants. Pourtant, il faut toujours que je croise la route d'une de ces commères.
Je dévie mon chemin et offre mon plus beau sourire à Charlie avant de lui tourner le dos. Mon manège ne semble pas assez limpide pour son esprit limité. J'arrive à imaginer sa démarche assurée rien qu'au son du frottement de son jean. Parfois les bruits ambiants deviennent insupportables et c'est clairement le cas de ce dernier.
— Tu viens avec nous au Club 21 ce soir ? Je t'ai fait parvenir l'invitation par mail.
— Si je n'ai pas répondu, je suppose que c'est un non, soufflé-je sans ralentir mes pas.
— Quoi ? Toujours dans ton délire ? Tu vas nous éviter encore longtemps ? On est toutes là si tu as besoin..., lance-t-elle d'un ton mielleux à gerber en me retenant le bras.
Pourquoi j'ai décidé de venir en cours aujourd'hui, déjà ? Ah oui. La séance d'astrophysique au planétarium. Je pensais que m'évader dans les étoiles me détendrait et m'aiderait à lâcher le clavier au moins cette nuit, histoire de rattraper ma dette de sommeil. Le plan n'était pas si mauvais, il aurait même pu fonctionner si je n'avais pas croisé Charlie.
— Laisse tomber, tu veux ? Je suis pressée, j'ai des trucs à faire, tenté-je avant de me libérer de sa poigne.
— Ah, vraiment ? Et quoi de si important ? Tu ne prends même plus la peine d'assister au cours ! Tu as l'intention de te faire virer ou quoi ?
Non, être exclue de l'université ne fait pas vraiment partie de mes plans. Mes parents n'accepteraient pas ce nouvel affront. S'ils commencent à se mêler de ma vie ici, les choses se compliqueraient davantage. Pourtant, depuis ce 31 décembre et cette maudite lettre, chaque matin me demande plus d'effort que le précédent. Certains jours, sortir de mon lit s'assimile à de la torture. Mes soirées à rallonge plongée dans l'écriture n'aident pas non plus, mais depuis quelques semaines, même les classes de l'après-midi passent à la trappe. Je dois me reprendre. Ma mère n'a plus donné signe de vie après m'avoir exclue de la sienne. Toutefois, un seul appel du doyen suffirait à la faire débarquer ici. Prête à tout pour sauver l'honneur de la famille, même à l'autre bout du pays, même si ça concerne une fille dont elle n'a plus rien à faire.
— J'ai eu quelques empêchements.
— Bien sûr. Et tu peux compter, comme d'habitude, sur moi pour t'envoyer ce que tu as manqué...
La blague. Comme si elle faisait dans la charité maintenant. Elle cherche juste à obtenir mes grâces, une nouvelle fois.
—... mais tu sais aussi bien que moi le crédit accordé à l'image sur ce genre de campus. Tu nous as fait faux bond à plusieurs soirées importantes. Le Club commence à se poser des questions.
Le Club. Cette foutue secte qui se vante de regrouper l'élite de Stanford. En réalité, c'est plus à la grandeur du portefeuille qu'à celle de l'esprit qu'on doit tous nos entrées. Ce genre de connerie ne fait plus partie de mes priorités.
— Écoute, j'ai déjà un engagement ce soir. Une prochaine fois, peut-être ? menté-je.
— Un autre boursier avec qui partager ton lit ?
La nuit du Nouvel An les a marquées. Deux mois se sont écoulés et pourtant les filles me ressortent mes prétendus déboires avec Tristan dès qu'elles le peuvent. J'en suis plutôt fière. Mon plan a fonctionné. Mes mensonges n'ont pas été suffisants pour qu'elles me lâchent la grappe, mais ils n'ont pas été vains.
— Probable, fanfaronné-je.
— Tu veux ruiner ta réputation ?
— Possible également.
— Lou..., soupire Charlie. Je ne te crois pas. Tu nous racontes des conneries pour nous chasser. Qu'est qu'il t'arrive à la fin ?
Pas si imbécile la nageuse en fait. Peu importe, elle peut penser ce qui lui plaît, cette conversation a assez duré. Un nouveau rictus pour donner le change, et je m'éloigne. Cette fois, elle ne me poursuit pas. Je vais enfin pouvoir retrouver le semblant de sérénité de mon appartement.
— Tiens, quand on parle du loup ! s'écrie-t-elle à peine j'ai fait quelques mètres.
Ça sent mauvais. Je devrais fuir tant que j'en ai encore l'occasion. Ma curiosité me rattrape et me pousse à me retourner. Grave erreur. Je le reconnais tout de suite. Plus de 16 000 étudiants s'amassent sur le campus et il faut que je croise ces deux-là en même temps. Le karma ?
Ses cheveux sont plus courts, mais toujours aussi indisciplinés. Il ne porte pas ses fameuses baskets blanches. Aujourd'hui, il foule les pavés de l'allée chaussé de Converses violettes. Son sweat aux couleurs de l'université est la seule chose qui pourrait le fondre dans la masse standardisée, en revanche sa casquette floquée d'une Pokeball réduit ses chances à néant. Je dois admettre qu'il est réconfortant d'observer quelqu'un se moquer des règles de complaisance.
Sans doute ne suis-je pas la seule à avoir noté ses différences. Je n'aurais jamais cru que mes amies pourraient reconnaître l'objet du « crime ». J'espère que les souvenirs de Tristan concernant cette soirée ne demeurent pas aussi nets et qu'il passera devant nous sans faire attention. J'envoie une prière silencieuse avant de baisser la tête en dernier recours. Alerte spoiler, aucun Dieu ne me vient en aide. Il me remarque tout de suite.
— Hey ! Tristan, c'est bien ça ? l'interpèle Charlie.
— Heu, ouais.
Il me dévisage, sans tenir compte de l'excitation suspecte de l'emmerdeuse qui s'agite à côté de moi. Cette œillade me ramène à une soirée que j'aurais préféré oublier, comme si avec ce simple échange il me mettait face à mon comportement ridicule et aux mensonges qui ont suivi.
— Alors, comme ça on ne donne plus de nouvelles après avoir passé une nuit de folie avec ma copine ?
Oh, merde. Fidèle à elle-même, elle ose tout pour obtenir ce qu'elle souhaite. La vérité. J'imagine déjà la mine ravie qu'elle affichera une fois mon imposture confirmée.
— Une nuit de folie ? sourit-il sans me délivrer de son regard.
Je lis les interrogations dans ses yeux. À part une grimace pleine d'excuses, je ne peux rien lui offrir. Son sourcil gauche tressaute devant ma paralysie généralisée. Malgré ma détresse, je me surprends à trouver ce tic plutôt sexy.
— Votre année a commencé en apothéose avec des fornications dans chaque recoin de son appartement, non ? insiste la peste.
— Fornications ? répète-t-il en se marrant désormais franchement.
— Tu vas rabâcher chacun de mes mots ? Tu sais, tu peux tout me dire, j'ai compris que ma belle blonde a encore fait sa prétentieuse.
Il rabat son intention sur Charlie. Toute trace d'amusement s'efface de son visage. Je réalise que ma respiration est restée bloquée tout le long de notre échange. Ma première inspiration laisse une sensation de brûlure sur son passage.
— Oh, détrompe-toi ! C'est juste que le terme « folie » me paraissait un peu trop plat. J'aurais plutôt parlé de nuit d'extase. Quant à la fornication dont tu parles, baise semble plus approprié, rectifie-t-il en martelant ses mots.
O.K.. C'était quoi ça ? La mâchoire de mon amie se décroche. Elle n'a pas le temps de renchérir que Tristan se trouve déjà à l'autre bout de la cour. Je le regarde s'éloigner, totalement déboussolée par la situation.
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Drop the end | Terminé ✔
RomanceLou a essayé. Du mieux qu'elle a pu. Depuis sa naissance, on lui a appris à faire face, à bien agir. Manier les apparences pour masquer la réalité, elle connaît. Mais là, c'est trop. Alors qu'elle relit une nouvelle fois la lettre que sa grand-mère...