LOU
Il n'a pas eu besoin d'un tas d'ingrédients pour réaliser des miracles. Un fond de spaghetti dans le placard, quelques légumes encore mangeables dans le frigo et un reste de mélange d'épices lui ont suffi. Face à l'odeur appétissante, j'ai eu les yeux plus gros que le ventre et mon estomac n'a pas apprécié cette sollicitation soudaine après plusieurs semaines de disette. Je somnole dans le canapé tandis que Tristan a repris ses occupations à seulement quelques centimètres de moi.
Cette proximité me réchauffe autant qu'elle me paralyse. Un silence paisible s'installe entre nous. À force de le voir absorbé dans son travail, je suis prise d'un regain de motivation. Je m'empare de mon ordinateur et ouvre le dernier fichier. Après avoir relu certaines phrases, je me plonge à mon tour dans l'écran. Cette fois, tout paraît différent. Plus simple. Plus doux. Je me sens étrangement immunisée. Comme si une force invisible me protégeait de mes souvenirs.
Prise dans mon élan, je ne vois pas le temps passé. Quand Tristan brise le calme ambiant, un léger sursaut accompagne mon brusque retour à la réalité.
— Pardon ? m'empressé-je.
— Je te demandais ce que tu faisais. Tu sembles totalement ailleurs.
— Heu... Un projet perso.
— Tu me montres ? Comme ça, on serra à égalité.
— Non ! me braqué-je.
Je rabats l'appareil, de peur qu'il ne suive mon exemple en lorgnant sur l'écran. À ma grande surprise, il se satisfait de mon refus. Sans broncher, il reprend ses activités dans son coin.
— Tu n'insistes même pas ?
— Tu voudrais que j'insiste ?
— Non, sûrement pas !
— Bah, voilà. On a tous nos secrets, conclut-il d'un clin d'œil. Et les cachotteries, ça a l'air de te connaître.
Oh, le pic bien placé. Après tout, je ne mérite aucune indulgence. Je l'ai manipulé. Je l'ai embarqué dans mes mensonges sans me soucier des répercussions. Il aurait pu devoir affronter une petite-amie jalouse. D'ailleurs, a-t-il une copine ? Et malgré ça, il est dans mon canapé. Il a rappliqué juste pour m'aider avec mon devoir.
— Encore une fois, je suis désolée. Je n'aurais pas dû t'entraîner dans mes histoires...
— Oh non, me coupe-t-il. Tu fais erreur. Je n'ai pas dit ça pour récolter tes excuses. Je suppose juste que c'est une deuxième nature chez vous.
— Chez nous ?
— Tu sais, l'élite comme on l'appelle si bien.
Je pourrais me sentir attaquée et visée par ses mots, mais il n'y a pas une once méchanceté sur son visage. Plutôt un sourire contrit, paré de compassion.
— Mhh. Ouais, je vois. Si faire partie de cette élite t'intéresse, je peux te donner tes conseils.
— Certainement pas ! Les focus et les codes, ce n'est pas pour moi.
— Je ne comprends pas. C'est la base à Stanford pourtant. Tu comptes te contenter de ton petit lit dans une coloc ? Tu ne veux pas sortir de là avec un bon réseau pour la suite ?
— Pas besoin. Les enseignements des cours me suffisent. Je préfère miser sur mon cerveau que sur mon carnet d'adresses.
— Quelle naïveté ! me moqué-je. J'aimerais être d'accord avec toi, mais malheureusement on ne vit pas dans le monde des bisounours.
— Peut-être que je me trompe, mais au moins, je n'ai pas à me méfier de chacune de mes connaissances moi, riposte-t-il sèchement.
Personne n'apprécie qu'on détruise ses illusions, en revanche je ne m'attendais pas à une telle réaction de la part de Tristan. Il méprise le dessus du panier, c'est clair. Mais, dans ce cas, que fait-il dans le canapé de la plus notable des bourgeoises du campus ?
En temps normal, ma fierté m'aurait poussée à lui prouver son erreur par A plus B. Seulement, ma vie n'a plus rien de normal ces derniers temps. Je suis fatiguée et je n'ai aucune envie de rentrer dans ce débat.
— En combien de personnes tu es capable de placer ton entière confiance ?
— Laisse tomber...
— Juste tes parents ? s'acharne-t-il.
— Non.
Pourquoi je me confie ? Pourquoi je lui donne raison ?
— Ah oui, même pas ta propre famille. Tu n'arrives pas à me citer le nom de quelqu'un à qui tu peux te fier. Tu vois, si c'est le prix à payer pour ce genre de vie, je te laisse ton loft luxueux avec plaisir.
— Tu dois avoir raison alors, rechigné-je.
Je voudrais qu'il se barre de chez moi. Je voudrais le mettre à la porte pour retrouver ma solitude. Il ne semble pas de cet avis et après un regard me renvoyant son empathie débile, il pianote à nouveau sur son ordinateur comme si notre conversation n'avait pas existé. Je suis incapable d'ouvrir la bouche pour le congédier. Je ravale ma colère en silence. C'est absurde.
Dans l'espoir que la fatigue le rappelle vite à l'ordre, j'essaie de m'occuper de mon côté. Sauf que désormais, plus rien ne me tient à l'abri du récit. Les mots me poignardent un à un. En combien de personnes tu es capable de placer ton entière confiance ? Les paragraphes me ramènent à ma réalité. Ah oui, même pas ta propre famille. C'est mon histoire qui défile sur l'écran.
Deux larmes s'échappent. Parallèles, elles glissent le long de mes joues. L'assise remue près de moi. Tristan n'a plus les yeux rivés sur son ordinateur, mais sur ma faiblesse. Ma main se rapproche involontairement de la sienne.
— Excuse-moi, j'y ai été un peu fort, hasarde-t-il en pressant mes doigts.
Je voudrais juste m'échapper. Oublier. Pouvoir me satisfaire de ce contact réconfortant. Alors, sans plus penser à rien, je réduis la distance qui nous sépare et je pose mes lèvres contre les siennes. Ce baiser n'a rien à voir avec le précédent. Plus doux. Sans empressement. Sa respiration se fait plus lourde et cette fois, il me rend rapidement mon étreinte.
Quand il me soulève et m'entraîne vers le lit, je refais surface. J'appréhende l'enchaînement de nos actions, la suite logique des événements. Ce que je n'avais pas prévu, c'est qu'il me dépose sur le matelas avant de me border.
— Tu as besoin de dormir. Il est temps que j'y aille, il est tard, murmure-t-il à mon oreille.
Un nouveau refus. Un nouvel abandon.
Il presse sa bouche sur la mienne. Va-t-il rester finalement ?
— Je te vois vite. Maintenant que tu m'as envoyé un message, moi aussi j'ai ton numéro, me nargue-t-il.
J'entends la porte claquer. Il est bel et bien parti. Pourtant, le sentiment de rejet a disparu. Je m'endors rassurée et sereine.
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Drop the end | Terminé ✔
RomanceLou a essayé. Du mieux qu'elle a pu. Depuis sa naissance, on lui a appris à faire face, à bien agir. Manier les apparences pour masquer la réalité, elle connaît. Mais là, c'est trop. Alors qu'elle relit une nouvelle fois la lettre que sa grand-mère...