Je m'enfonce plus dans la neige que je n'avance : cette foutue neige m'arrive au genou. Les flocons de neige tourbillonnent autour de moi me brouillant la vue, mais malgré cela, je discerne quelque chose à l'horizon ; cela tombe bien parce que je marche depuis une journée sans relâche et je suis épuisée.
Lorsque j'atteins enfin l'arbre, je m'écroule à ses pieds et ferme les yeux un instant. Mais une odeur me réveille en sursaut, je me lève et regarde l'arbre. Ou plutôt ce qu'il en restait : il était littéralement bouffé par le Frisheid et était dans la phase terminal. Je m'éloigne en courant de l'arbre et ne me retourne pas. Je m'écrase dans la neige après seulement cinq pas, je relève tant bien que mal et continue à m'éloigner de cet arbre.
J'atteins enfin le village à l'aube et entends des hurlements alors que je suis à l'autre bout de la maison. Les hurlements deviennent insupportables et je comprends hélas pourquoi. Je traverse le village le plus rapidement possible mais arrivé à la porte j'entends un dernier hurlement un « sploush » déchirant l'air, recouvrant même mon hurlement. J'ouvre la porte et découvre mon pire cauchemar : le seul être humain avec qui je pouvais parler, avec qui je pouvais marcher jusqu'à la ville, avait ses organes partout sur les murs, un œil sur la table, la couverture rempli d'un mélange de sang et de glace, les fenêtres arboraient maintenant une teinte rouge reflétant les rayons de soleil à cause des cristaux présents dans son sang. Il faut que je sorte, il faut que je sorte, il faut que je sorte...
L'air vif ne m'a jamais fait au temps du bien que ça, je m'effondre dans la neige et pleure toutes les larmes de mon corps. Les larmes coulent et tombent dans la neige, encore et encore. Le froid siffle encore une fois entre mes oreilles, la neige se pose doucement sur moi, me recouvrant doucement d'une blancheur ravageuse.
Je me relève finalement mais au bout de combien de temps ? La neige m'avait entièrement recouverte ; ma cape avant noire était blanche. Je me secoue pour faire tomber la neige et fais un pas puis tombe. Je fais faire comment maintenant ? Marcher encore, comme si rien ne s'était passé ? Ou m'apitoyer sur mon sort et rester à pleurer là ? Et si j'avais été contaminée, à quoi ça sert de marcher dans ces plaines enneigées encore et encore pour une ville dont j'ai entendu parler seulement en conte avant de m'endormir ? Est-ce que je vais réussir à atteindre cette ville ou vais-je mourir de mille et une façons, seule ?
Je me relève de nouveau et prête à me remettre en main : comme disaient mes parents, cela ne sert à rien de s'apitoyer sur son sort puisqu'il est déjà fichu, alors autant se battre. Je parcoure le village et récupère tout ce qui me semble utile pour mon voyage. Mais les Freddezza sont passés avant moi et il ne reste plus beaucoup de chose. Je quitte le village sans me retourner et avance d'un pas déterminé.
❅❅❅❅
Mes convictions s'étaient vite envolées et je marche au milieu d'une tempête depuis que je suis partie du village, il y a trois jours. Je ne vois pas où je marche ni vers où et il m'est impossible de lire la boussole. La cape n'arrive même plus à me réchauffer, je tremble en permanence et mes doigts sont douloureux. J'ai trop peur de dormir, de peur de ne pas me réveiller. Je suis à bout, chaque pas que je fais m'épuise, tout ce que je veux c'est dormir. Dormir juste une petite minute. Juste une petite minute. Juste...
Je m'écroule dans la neige et ferme les yeux pour m'endormir aussitôt. Je me redresse aussi rapidement. Je me suis endormie pendant combien de temps ? Je ne sens plus mes pieds et la neige ne tombe plus. J'enlève mes chaussures et remarque que mes pied sont durs, froids et pales. Il faut que je les réchauffe si je veux marcher mais dans la panique je n'arrive pas à allumer un feu. Finalement, j'arrive enfin à allumer un feu. Je me réchauffe au coin de se feu et pioche dans l'une de mes dernières boîtes de conserves.
Lorsque je sens de nouveau mes orteils, je me lève et part en vérifiant ma boussole ; je n'ai pas trop dévié de ma route, je peux donc continuer inlassablement jusqu'au Nord.
❅❅❅❅
Ma longue marche s'était passée sans encombre durant un mois. Un mois sans croiser personne, à traverser les mêmes villages dévastés, le même espoir étouffé sous les cadavres fumant. Un mois sous la même neige, tombant sans interruption, de plus en plus tenace. J'ai toujours peur de dormir, peur que mes pieds gèlent comme il y a un mois.
Cependant, j'ai remarqué un subtil changement dans la neige. Elle semble moins dure qu'avant et les tempêtes semblent moins vigoureuses, moins longues aussi et surtout, j'ai l'impression d'avoir moins froid surtout. Mais j'ai toujours faim, encore et toujours, toujours ce vide au creux d'un estomac qui a plus l'air d'un puit vide sans rien pour le combler.
Ce petit changement je l'ai senti mais je n'avais pas pensé à ça. Mes parents m'avaient parlé des forêts. Autrefois, il existait des arbres haut de plusieurs mètres et s'étalant sur plusieurs kilomètres carrés. Mais c'était une ressource importante, tant pour Mère Nature que pour les Hommes. Mère Nature respirait à travers les arbres, les Hommes asphyxiaient mais tuaient les arbres pour les brûler, pour leur bois et pour faire de la place pour cultiver les Brillants. Et le Grand Chaos n'avait rien arrangé, l'effort de guerre demandait toujours plus de bois et leurs armes ont pollué les arbres restant. C'est pourquoi il n'y a plus beaucoup d'arbres aujourd'hui et que toutes les forêts ont disparu.
C'est pour ça que je ne pensais pas tomber sur une forêt en allant vers le Nord. Pourtant, le jour de mes 20ans, 4 mois, 2 semaines et 3 jours après mon départ. Une forêt, comme dans les histoires, comme autrefois, se découpant dans l'aube. Les arbres étaient si haut, si majestueux, si nombreux. L'air était vif aussi mais il était empreint de l'odeur des arbres ; la luminosité y était plus sombre. Mais tout était silencieux, juste des arbres, vestiges d'une aire révolue. La neige atteint à peine le sol, couvert d'un lit de mousse verte. Je marche dans ce lieu surréaliste, tout droit sortir des contes, parenthèse dans ce monde bloqué dans un hiver chaotique.
Il m'est difficile de savoir à quel moment de la journée on est et avancer en ligne droite vers le Nord est encore plus compliqué ; je dois sans cesse me baisser, m'empêtrer dans les branches basses et dans les ronces. J'ai l'impression d'avoir fait des kilomètres alors qu'en réalité j'ai dû faire quelques mètres. La fatigue m'alourdit les jambes et je ne tiens plus, je tombe au sol ; à chaque fois, je me permets une ou deux heures de sommeil tous les trois jours. Cela va faire quatre jours que je n'ai pas pu dormir puisque la nuit dernière, une énième tempête de neige faisait rage : impossible de dormir donc. Je fais un feu, mange des baies et m'endors sur cette douce mousse.
Un souffle chaud vient me réveiller en sursaut. J'ouvre les yeux et hurle d'effroi. Un énorme ours tournait en rond autour des braises fumantes et des restes des champignons. Je ne pensais même pas qu'il en existait encore ; comment est-ce qu'on doit réagir dans cette situation ? Je recule doucement en le regardant manger. Je me lève et pars en reculons mais je marche malencontreusement sur une branche et l'ours se retourne vers moi et s'élance. Je n'ai même pas le temps de faire un pas qu'il me donne un coup de griffe, me propulsant sur une branche et m'assommant sur le coup...
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Un long hiver d'agonie
Science FictionLa Guerre a tout ravagé. L'espoir, la vie, la joie. Tout a été effacé sous un manteau de neige blanche qui ne cesse plus de tomber depuis un siècle. Les Hommes se sont entretués dans une ultime bataille nucléaire. Amaya tente de survivre dans surviv...