Chapitre 9

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Ces trois derniers jours se sont passés dans une routine lassante : je me lève le ventre vide, je vais au boulot, je rentre le ventre vide, je me couche et c'est reparti. Mais aujourd'hui je vais pouvoir aller au Centre.

Le Centre est un haut bâtiment qui ressemble fortement à l'Hôpital, tout en verre et en béton. Un longue file d'attente s'étend jusqu'en dehors du Centre. J'attends pendant plusieurs heures avant d'atteindre le guichet. Pour la semaine, j'ai le droit à 50g de blé, une poignée de haricots et de fèves. Je rentre chez moi et me cuisine enfin quelque chose.

Bien que ça mon seul jour de congé de la semaine, j'avance ma couture. La boutique est incroyable, elle travaille pour les Freddezza ! Nous ne les voyons jamais mais ils passent des commandes de vêtements somptueux, pour des fêtes encore plus somptueuses. Mme Dénutz m'a raconté qu'elle avait déjà assisté à des fêtes et que c'était indescriptible tant c'était démesurées. Mais difficile de savoir ce qui est vrai dans ce qu'elle dit, elle a un besoin viscéral de toujours en rajouter pour qu'on puisse flatter son égo, qu'il doit être comparable aux fêtes des Freddezza.

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La vie dans cette ville est bien différente de celle dans mon village. Personne ne se connait et personne ne cherche à se connaître. Chacun essaie de survivre dans cette ville impitoyable qui écrase les plus de démunis pour les élus. Si tu ne travailles pas assez, tu ne peux plus payer ta minuscule pièce insalubre et tu vires de la ville, définitivement. Ce sont les Freddezza qui contrôlent la ville et c'est eux qui décident qui est digne de rester ou pas. Puisque des Hladan viennent chaque jour en nombre, les Freddezza n'accordent pas de Visa aux nouveaux venus. Seule une sous-élite de Hladan -dont Mme Dénutz- peut se permettre d'avoir ce Visa. La nourriture venant des grands champs autour de la ville servent surtout à nourrir les Freddezza, puis la sous-élite et enfin tous les autres Hladan qui doivent se contenter des restes. Et lorsqu'il y a des récoltes mauvaises, il arrive qu'il n'y ait plus rien pour les Hladan, d'où un fort taux de mortalité. L'insalubrité est une cause importante aussi, et tout le monde vit dans la crainte que les rats qui prolifèrent n'apporte des maladies, ou pire, le Frisheid.

Je suis dans cette ville depuis deux mois et je ne pourrais pas avoir mon Visa avant plusieurs années. Pendant ce temps, il ne faut pas que je fasse d'erreur : pas de retard de paiement, pas de vols de nourriture, rien... Mon salaire s'élève 1000 Frinanz (la monnaie de la ville) et mon loyer s'élève pour l'instant à 300 Frinanz et s'élève chaque mois un peu, et ma ration à 100 Frinanz, mais cela peut varier aussi. Le pic de la Saison des Tempêtes est là : il neige chaque jour, formant une bouillasse de déchets et de boues lorsqu'elle fond ; sans parler des températures qui descendent jusqu'à -20°C. Et je le ressens puisque mon appartement n'est pas isolé, comme tous les appartements de ce quartier. Tout le monde ici vit dans la crainte qu'à cause de ce froid, quelqu'un attrape le Frisheid. Difficile de croire que cette crainte allait se réaliser...

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Une tempête frappe sans relâche depuis maintenant trois jours. Les rues sont recouvertes d'une épaisse couche de neige, les toits revêtent un manteau blanc et les gens se pressent dans un souffle glacé à leur travail. Depuis quelque temps une rumeur circule dans le quartier comme quoi quelqu'un serait atteint du Frisheid, mais personne ne semble la prendre au sérieux. Mais je ne peux pas m'empêcher d'y croire, une épidémie se répand vite dans une grande ville, du coup j'observe tout le monde avec suspicion, pour essayer de voir si quelqu'un a des symptômes. Par contre, les Freddezza ne semblent pas s'en inquiéter puisqu'une énorme commande est arrivée à faire en une semaine, résultat je dois veiller tard et commencer tôt.

Le troisième jour après le début de la rumeur, ma voisine de palier Juliette sonne à ma porte. Je lui ouvre et elle me demande si je n'aurais pas une couverture ou un vêtement chaud à lui prêter. Psychotique comme je suis, je regarde ses doigts et remarque avec effroi qu'ils sont gelés de l'intérieur : la rumeur est vrai, il y a bien quelqu'un qui est atteint du Frisheid. Je me recule et congédie gentiment Juliette et par au commissariat dès qu'elle rentre chez elle.

J'arrive finalement au commissariat et interpelle un policier :
« Bonsoir, je viens faire une déclaration.
- Vol, viol ou meurtre ?
- Non.
- Ah, ça change pour une fois, c'est quoi ?
- Un cas de Frisheid.
- Waouh, rien que ça, rigole-t-il.
- Il n'y a rien de drôle, il y a vrai risque d'épidémie.
- Vu votre accent assez prononcé je dirais que vous veniez d'arriver et que vous avez un traumatisme mais ne vous inquiétez pas notre système de Santé est très performant pour détecter le Frisheid.
- Non il n'est pas performant puisque...
- Vous osez critiquer notre système !?
- Non, bien sûr que non mais...
- Il n'y a pas de mais, allez-vous-en avant de recevoir un blâme ! »

Je préfère partir avant de recevoir un blâme et de toute manière, il ne compte pas m'écouter ; je rentre chez moi anxieuse et tente de dormir, malgré le froid glacial de mon appartement...

Un long hiver d'agonieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant