2. Le départ

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Je pousse un profond soupir en inspectant le contenu de mon armoire. Mon sac à moitié rempli gît à même le sol comme un ballon dégonflé. J'ai toujours détesté faire mes bagages. C'est pourquoi je m'y prends généralement au dernier moment. Voire après le dernier moment. Je suppose que la valise de Tancrède est de son côté bouclée depuis longtemps, ses chemises repassées et pliées avec soin.

Je balance quelques tenues pêle-mêle sans y prêter grande attention. L'établissement dans lequel je m'apprête à entrer impose de toute façon un uniforme. Il est donc inutile de trop soigner ma garde-robe. Ces t-shirts là feront très bien l'affaire. Ce n'est pas non plus comme si je possédais des milliards de vêtements.

Je rajoute quelques caleçons et me laisse tomber sur mon lit, découragé par avance. Je n'ai pas envie de partir. J'ai toujours vécu ici, au sein de ma meute, entouré des miens. Ils ont toujours méprisé l'oméga que je suis. Ils m'ont cependant protégé et accepté.

Ma gorge se noue. Je fixe le mur jauni de ma minuscule chambre sur lequel sont fixés quelques posters aux couleurs fanées. Cette pièce a beau être l'une des plus petites de la maison, il n'empêche qu'elle est mon refuge. Je sais que j'y suis à l'abri. Qu'en sera-t-il de celle que je serai forcé d'occuper ce soir ?

Certes, je dois cependant admettre être parfaitement responsable de la situation dans laquelle je me trouve actuellement.

Mon regard tombe sur mon uniforme tout neuf accroché à la porte sur un cintre un peu moins rouillé que les autres. Je pince les lèvres. Le lycée Miramar où je suis envoyé est l'un des établissements les plus prestigieux du pays. La plupart des futurs chefs de meute le fréquentent. Mon frère aîné, Tancrède, y est actuellement en terminale. Il n'était bien sûr pas venu à l'idée de mon père de m'y envoyer. En tant qu'oméga, je ne pourrais jamais avoir une place importante au sein de la meute, tout fils de chef que je sois. J'avais donc été inscrit tout simplement au lycée local, fréquenté presque exclusivement par les membres de ma meute. J'y avais fait toute la seconde. Avant de me faire renvoyer à la fin de l'année, soit deux mois auparavant, pour mauvais comportement.

On dit souvent que les omégas sont timides et obéissants. Pour ma part, je ne suis certes pas très courageux, mais je refuse de me laisser marcher sur les pieds par les autres loups, et en particulier par les alphas. C'est pour cela qu'au fil des ans j'ai mis en place des stratégies pour me soustraire à leur autorité. En bon lâche, je ne m'oppose jamais directement aux alphas. Mais je me venge des tracas qu'ils me font subir. Lorsque l'un d'entre eux m'a contrarié, je profite par exemple d'une pause pour lui cacher sa trousse ou pour faire une belle tache d'encre sur son cours. C'est peut-être puéril, mais également très satisfaisant.

Mais j'avais fini par me faire prendre... Octave, l'un des alphas les plus bêtes que j'aie jamais rencontrés, s'était moqué à plusieurs reprises de mon incapacité à garder le ballon lors d'un cours de sport. Il me traitait comme un moins que rien et encourageait même les autres à en faire de même. Il avait fini par m'offenser profondément. J'avais voulu me venger de manière terrible et n'avais rien trouvé de mieux à faire que d'aller uriner dans son casier. Sauf que j'avais oublié que les alphas disposaient d'un flair bien supérieur à ceux des autres. Octave s'était aussitôt rendu compte que j'étais le coupable et m'avait dénoncé au proviseur.

J'avais rarement vu mon père aussi furieux. Il m'avait crié dessus pendant des heures, m'avait enfermé dans ma chambre pendant presque toutes les vacances d'été.

Ma belle-mère l'approuvait avec un air horrifié. Je la savais cependant secrètement ravie. Elle adore me voir échouer. Elle n'a jamais pu supporter ma présence. Mon existence même est une insulte pour elle. Je suis un enfant illégitime, né d'une brève liaison entre mon père et une bêta sans meute. Ma mère était tombée accidentellement enceinte et était morte en me mettant au monde. Mon père m'avait alors accepté au sein de sa famille. Il se raconte que mon statut d'oméga est une punition au péché de mes parents. Je n'aime pas cette idée. Je ne veux pas être considéré comme un châtiment. Après tout, je n'ai jamais demandé à naître.

— Lucien ! crie depuis l'étage du bas une voix pleine d'autorité.

Celle de mon père.

Je regarde l'heure sur mon portable. J'aurais effectivement dû être prêt depuis dix bonnes minutes. Faire attendre mon paternel n'est jamais la meilleure des idées.

Je m'assieds sur mon sac pour essayer de tasser mes affaires et me bats avec la fermeture éclair. Elle cède soudain. Je balance le sac sur mon épaule, embarque mon uniforme sous le bras pour ne pas le froisser, jette un dernier coup d'œil sur ma chambre, et me précipite pour descendre l'escalier aussi vite que ma charge me le permet.

Le salon, pourtant vaste, est bondé. Les fauteuils et le canapé ont été poussés sur le côté pour dégager l'espace central. Mon père est le chef de la meute Chardon. Nous sommes un groupe de taille et de puissance assez moyenne. Ma famille au grand complet et quelques amis semblent s'être réunis pour assister au départ.

J'aperçois mes deux petites sœurs en train de courir dans tous les sens, comme d'habitude. Au beau milieu du salon, Tancrède se pavane, revêtu de l'uniforme du lycée. Il a fier allure dedans, avec sa chevelure brune et son corps athlétique, tandis que moi je suis juste ridicule quand je le porte. Mon père, aussi grand et musclé que lui, a la main posée avec fierté sur l'épaule de mon frère aîné. Il me jette un regard froid en me voyant au bas des marches. Il ne ferait jamais preuve d'une telle marque d'affection avec moi, le fils bâtard et oméga dont il n'a jamais voulu...

Il n'est pas toujours facile d'être le seul oméga d'une famille composée exclusivement d'alphas... Mes demi-sœurs sont plutôt gentilles avec moi. Elles me considèrent un peu comme leur gros nounours. Mon grand frère me méprise et me traite comme un moins que rien. Je pense qu'il estime que je ne fais pas vraiment partie de la famille. Il ne manque jamais une occasion pour me rappeler que je n'ai pas la même mère que lui.

Mon père frappe dans ses mains pour attirer l'attention.

— Chers amis, déclare-t-il avec un sourire chaleureux qui ne m'est jamais destiné, il est l'heure du départ. Tancrède, mon fils aîné et héritier, va effectuer sa dernière année au lycée Miramar. Lorsqu'il reviendra parmi nous, il sera devenu un homme accompli, apte à me succéder lorsque l'heure sera venue.

Toute l'assemblée applaudit avec enthousiasme. Personne, bien sûr, ne fait observer que, moi aussi, je vais partir pour ce même lycée. Mon père n'a pas fait le choix de m'y envoyer de gaieté de cœur. Je ne pouvais plus aller au lycée local et il n'aurait pas été une très bonne idée de m'envoyer tout seul dans un établissement appartenant à une autre meute. Les omégas se font souvent agresser par les alphas s'ils ne sont pas protégés par leurs proches. Même ma famille ne me souhaite pas ça.

Après avoir terminé son discours plein d'émotion, mon père se dirige d'un pas rapide vers moi. Je me raidis, les doigts crispés sur la lanière de mon sac.

— Quant à toi, grogne-t-il d'une voix basse, ne me fais pas honte. Obéis à ton frère.

Ma belle-mère, non loin de lui, pince les lèvres. Si mon père ne m'aime pas, elle me déteste. Bien sûr, elle n'a pas franchement apprécié l'aventure que mon père a eue avec une autre femme et elle a reporté sa frustration contre moi, le loup raté incapable de se défendre...

Ce crétin d'alpha (bxb) [en réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant