Chapitre 14 - Jusqu'à la frontière

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Shain et Acacio s'étaient mis en route à la nuit tombée, profitant de l'obscurité pour ne pas être repérés et arrêtés par les patrouilles policières qui surveillaient les abords de l'école. Shain n'était guère préoccupé par   leur fuite, aucun des agents ne dégageant une puissance magique suffisante pour vaincre son invocateur. La seule qui aurait été capable de les ralentir n'avait pas le temps de faire des rondes, trop occupée à superviser les opérations de recherches, la surveillance et la demande d'autorisation pour aller sauver le directeur. En revanche, les patrouilles pouvaient compliquer leur fuite, ou attirer suffisamment de monde pour les bloquer à l'école.

Usant de ses sens de loup, Shain vérifia une dernière fois qu'il n'y avait personne dans les parages avant de faire signe à son invocateur qui, pour une fois, était disposé à suivre ses indications sans l'insulter. Sans un bruit, ils s'enfoncèrent dans la forêt qui entourait l'école, prévoyant de rejoindre le chemin principal un peu plus loin, hors de vue de tout observateur potentiel.

Le loup-garou se concentra sur la nature qui les entourait. Bien que la végétation ressemblait à celle de son territoire, elle paraissait moins dense. Les sons nocturnes d'animaux en quête de nourriture ou d'un lieu tranquille pour dormir. Il retrouvait les effluves familiers de la terre humide, des feuilles qui baignées dans soleil quelques heures plus tôt, et des fruits sauvages. Toutes ces odeurs lui avaient manqué. Même s'il lui arrivait de se promener sous forme lupine, il ne s'éloignait pas vraiment de l'école, et donc restait principalement à la lisière de la forêt.

— Avec des chevaux, il ne nous aurait fallu que quelques heures pour gagner la frontière, mais à pied, il nous faudra bien une journée complète de marche, annonça Acacio

— Et tu ne pourrais pas nous téléporter ? demanda Shain. J'ai entendu dire que c'était possible avec assez de puissance.

— Si j'y étais déjà allé, cela aurait pu être possible, mais ce n'est malheureusement pas le cas.
Shain nota que son invocateur n'avait fait aucun reproche sur la « stupidité » de sa question, comme il l'aurait probablement qualifié en temps normal. Il devait vraiment être inquiet pour son père pour ne pas le lui avoir fait remarquer.

Plus aucun mot ne fut échangé jusqu'au lever du jour. Seuls les bruits de la nuit se faisaient entendre au loin, brisant le silence qui aurait pu être gênant entre eux. Au lieu de cela, il avait quelque chose d'apaisant, de réconfortant. Acacio avait arrêté de ruminer, se concentrant sur ce qui l'entourait.

Cependant, ce silence pourtant apaisant fut rompu par une remarque de Shain après les sept heures de marche qu'ils venaient de faire.

— On devrait faire une pause, ne serait-ce que pour boire un peu, fit le familier à son invocateur. Et je pense aussi que ça te fera le plus grand bien d'avaler quelque chose. Tu n'as presque rien mangé depuis que ton père s'est fait enlever.

— Je mangerais quand on l'aura retrouvé. Je n'ai pas de temps à perdre pour ces choses inutiles. Qui sait ce qu'on lui fera subir pendant qu'on prend le temps de manger ?

— Tu penses sérieusement que tu pourras utiliser ta magie comme tu le voudras si tu es affamé !? rétorqua le loup-garou, coupant court aux arguments du sorcier.

Ne trouvant rien à répliquer, Acacio n'ajouta rien et se mura dans son silence, se contentant juste d'acquiescer lorsque Shain s'adressait à lui.

Shain tendit l'oreille, usant de ses sens de loup-garou pour vérifier s'il n'y avait pas un ruisseau non loin de leur position ainsi que de quoi les nourrir un minimum.

— Suis-moi, j'ai entendu le bruit distinctif d'un courant d'eau pas loin. Et je sens l'odeur de nombreux fruits sauvages, de quoi nous redonner des forces pour le moment.

La pause fut brève, chacun se résolvant à ne pas prendre plus de temps que nécessaire. Acacio trouvait déjà qu'il perdait du temps inutilement, alors Shain n'allait pas les retarder en tentant de faire la causette à quelqu'un qui ne lui répondrait de toute façon pas.

La suite du voyage se passa dans le même silence qu'avant la pause, sauf lorsqu'Acacio indiquait le chemin ou que Shain prévenait de l'approche d'animaux sauvages.

— Une fois arrivé à la frontière, tu te transformeras en loup, annonça subitement le sorcier. De mon côté, je changerais mon apparence pour ne pas être reconnu, dans le doute où il aurait mis des espions à la frontière. Nombre de créatures les occupent, et des complices de ceux qui nous ont attaqué pourraient s'y trouver. Ils ne savent probablement pas que tu es un loup-garou et personne ne trouvera bizarre qu'un sorcier se balade avec son familier loup. Il nous sera alors plus simple de traverser et de passer inaperçu.

Shain acquiesça et se métamorphosa rapidement en un grand loup noir aux yeux bleus. Il se plaça au côté de son invocateur, légèrement en arrière comme le ferait n'importe quel bon familier et le suivit sans protester, frottant juste son poil sur les jambes du sorcier par moment.

Il avancèrent ainsi jusqu'à une auberge quelques minutes après avoir franchi la frontière, mais Acacio l'ignora et continua son chemin. Le loup-garou le rattrapa et lui tira la manche pour le forcer à se diriger vers le bâtiment. Le sorcier ne comptait visiblement pas dormir, même s'il n'avait pas dormi depuis plus de vingt-quatre heures. Faisant ses plus gros yeux noirs, le métamorphe tenta de lui faire comprendre à travers le lien sa façon de penser devant son comportement plus qu'immature. Il n'aiderait pas son père en étant épuisé et affamé. Au contraire, il risquerait de perdre le contrôle de sa magie et de tous les mettre en danger.

Acacio finit par capituler, à contrecœur comme l'indiquait son regard sur son familier, et pénétra dans l'auberge.

— Une chambre pour deux, lits séparés, s'il vous plaît, demanda Acacio à la gérante des lieux.

— Vous attendez quelqu'un ? fit son interlocutrice, visiblement surprise.

— Non. Nous avons une longue route demain, indiqua-t-il en les désignant lui et Shain, et je voudrais qu'il puisse bénéficier d'une bonne nuit de sommeil. Et je voudrais arriver à dormir sans avoir une énorme peluche vivante dans mon lit parce que monsieur aura décidé que le sol est finalement trop dur pour lui.

— Je comprends, monsieur, rigola doucement la femme avant de lui tendre des clés. Troisième chambre à droite au premier étage. Le repas est servi à dix-neuf heure, soit dans quelques minutes. Je vous laisse le temps de poser vos affaires et vous dis à tout de suite pour votre dîner.

— Merci, fit Acacio en prenant la direction qui venait de lui être indiquée.

Le temps de poser leurs sacs, et ils étaient de retour pour manger. La serveuse apporta un plat du jour pour Acacio, et une assiette de viande crue pour son familier. Le sorcier la remercia et attaqua doucement son plat. Ils allaient partir après avoir fini lorsque la conversation de la table derrière eux attira leur attention.

— Tu as entendu la dernière ? Il parait que Gach Tùs a été attaquée, fit un des clients.

— Tu penses qu'Ivan y est pour quelque chose ? lui demanda son camarade de table.

— Son groupe et lui ont été super actifs dernièrement. Et d'après ce que j'ai entendu, il aurait une dent contre le directeur de cette école ou le pays de celui-ci.

Voyant qu'Acacio était de plus en plus pâle, Shain lui tira la manche pour le sortir de ses pensées négatives. Il continua jusqu'à ce qu'il le suive dans leur chambre. A peine eut-il le temps de reprendre forme humaine et de fermer la porte à clé que le sorcier craqua.

— Et si c'était trop tard ? Et si tout ce que nous faisons ne servait à rien ? Et s'ils l'avaient déjà tué ? Pourquoi lui ? Pour...

Acacio ne put finir sa phrase. Shain, pour le faire taire, scella leurs lèvres dans un doux baiser. Ahuri, le sorcier resta immobile, ne sachant comment réagir aux actions de son familier.

— On va le retrouver. Alors calme-toi ou je te jette par la fenêtre, menaça le loup-garou après l'avoir libéré. Et maintenant, couche-toi. Une longue route nous attend demain.

Sans un mot supplémentaire, Acacio rejoignit son lit pour tenter de trouver le sommeil, bien que son esprit soit occupé par ses inquiétudes pour son père et ce baiser que venait de lui donner son familier. Avait-il la moindre signification ou est-ce une autre de ses blagues pour se moquer de lui ? Et puis, pourquoi était-il aussi troublé  par ce simple geste venant de son familier ?

EòlachOù les histoires vivent. Découvrez maintenant