6-Victoria & Amelia

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Victoria

J'ai envie de disparaître lorsqu'Amelia sort de la classe, me laissant toute seule avec Mme. Larson. Cette situation me met mal à l'aise ; je suis souvent mal à l'aise en présence de cette femme. Cette dernière est différente des autres professeurs; elle ne m'appelle non pas Mademoiselle Casanova mais Mademoiselle Victoria, elle me traite comme n'importe quel élève et même si ça me fait bizarre parce que c'est la première fois que ça m'arrive, je sais que c'est ce que j'ai toujours voulu.

Je pense que c'est pour cette raison que je cherche à lui faire comprendre que je ne suis pas celle que je prétends être. J'aurais pu ne pas rajouter la référence à la citation sur mon questionnaire lundi dernier. J'aurais aussi pu maintenir que le fait qu'Orphée se retourne n'était qu'une question d'idiotie. Mais je n'ai pas pu. Je n'ai pas réussi à m'empêcher de répondre; elle a su trouver les mots justes pour me faire parler : "Ne pouvez-vous pas faire mieux, mademoiselle Victoria ?"

J'ai senti au ton de sa voix qu'elle me provoquait, qu'elle me défiait, et s'il y a bien une chose à laquelle je ne peux pas résister, c'est les défis.

« Pouvez-vous fermer derrière vous, s'il vous plaît ? »

Je m'exécute et m'adosse contre la porte. Mon enseignante est assise sur le rebord de son bureau, les jambes croisées.

« De quoi voulez-vous me parler ? »

Elle me répond alors, en esquissant un sourire :

« Vous pouvez vous rapprocher, je ne vais pas vous manger.»

Je me contente de croiser les bras, la distance entre nous me rassurant, et je la regarde, le plus froidement possible, l'invitant à répondre à ma question.

« Je vois », dit-elle en descendant de sur son bureau.

Elle s'avance alors doucement, réduisant la distance nous séparant et je me sens moins sûre de moi tout à coup, comme si elle pouvait m'atteindre...

« J'ai une question à vous poser. »

L'adulte n'est maintenant qu'à un mètre de moi et je constate pour la première fois que ses yeux, que je pensais marrons, sont vairons en réalité. Un œil marron foncé et un autre, couleur noisette, entre marron et vert. La différence n'est pas frappante mais notre proximité me permet de la saisir. J'en profite aussi pour admirer les petites tâches de rousseur discrètes parsemant son nez fin et une partie de ses joues. Je sens le regard de ma professeure sur moi et celui-ci, ajouté à sa taille, me font sentir toute petite. Ma maîtresse est grande de nature et les talons qu'elle porte lui permettent de me dépasser d'au moins cinq centimètres qui la rendent encore plus imposante qu'elle ne l'est déjà.

Elle reprend alors, et est désormais si proche de moi que j'arrive à sentir son haleine mentholée ainsi que son merveilleux parfum qui embaume mes narines :

« Si l'on suit votre théorie, Orphée savait qu'Eurydice était partie pour toujours. Alors pourquoi est-il allé jusqu'aux Enfers selon vous? Pourquoi se donner tant de mal s'il était conscient que c'était perdu d'avance ? Vous dites qu'il avait besoin de la revoir pour s'imprégner de son image, mais quand on aime quelqu'un d'un amour si puissant, on ne peut pas oublier son image...»

Mes yeux se posent sur les lèvres pulpeuses de l'adulte, et remontent lentement vers ses prunelles atypiques:

« Peut-être qu'Orphée avait besoin de se dire qu'il avait vu Eurydice une dernière fois. Peut-être qu'il ne cherchait pas à retrouver l'amour...»

Mme Larson hausse un sourcil et je poursuis, en déglutissant :

« Je pense que ce qu'il cherchait, c'était le souvenir de l'amour.

Un dernier regard...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant