Chapitre 11

40 5 9
                                    

Elle m'avait tendu un verre de thé, avant de s'écrouler sur son gros fauteuil en cuir comme si elle laissait tomber tous le fardeau du monde.

– Que souhaitez-vous savoir ?

J'avais l'impression de faire face à un piège. Comment pouvait-elle être aussi sereine alors que je lui demandais de me décrire une partie de sa vie ? C'était tout bonnement incroyable, irréaliste, surprenant.

– Katherine m'a parlé d'une prime normalement décernée aux guerriers, que vous n'avez pas eu suite à sa trahison.

– Oui, et ?

À présent, elle semblait plus crispée, se retenant de soupirer. Cependant, je continuai mes questions sans me laisser perturber par quelconque réaction.

– Pouvez-vous me parler davantage de cette prime ?

– C'est pour quoi, déjà ? reposa-t-elle, peu sûre.

– Je suis auteure. J'aimerais écrire une histoire émotive à partir de témoignages touchants. Je ne citerai pas vos noms, et Michael m'a dit qu'il souhaitait relire l'histoire avant publication. Je me conformerai à son avis, la rassurai-je.

J'avais l'impression de ne jamais autant m'être désignée comme auteure depuis aujourd'hui.

Quand j'avais prononcé le nom de son petit-fils, ses yeux s'étaient écarquillés d'une manière attendrissante. Je pensai avoir touché le point faible en le citant, elle ne pouvait plus refuser mes questions.

– À l'époque, nous étions extrêment pauvres. Endettés pour la maison, les vivres... Comme tout noir aux États-Unis, en fait, s'énerva-t-elle presque. Cette prime était notre unique moyen d'y subvenir. Mais Prince n'a pas fait la seule chose qui lui était demandée. S'occuper de ses enfants, ça n'était pas dans ses projets. Et les aider, ça n'en paraissait pas non plus.

Je retrouvai cette haine quand elle parlait de lui, tout comme précédemment avec Katherine. Il était désigné comme une personne sans cœur qui ne se souciait pas de ses enfants. Ça collait avec le personnage. Mais alors, pourquoi avoir prononcé "les enfants" involontairement, à l'hôpital ?

– Est-ce que vous savez en quoi consistait cette chose qu'on lui avait demandée ?

La vieille femme assise en face de moi haussa nonchalamment les épaules, puis but une gorgée de thé. Je laissai un sourire échapper malgré moi. Je venais à peine de la rencontrer mais j'avais déjà de l'affection pour cette femme. J'admirais sa franchise. J'appréciais sa confiance.

– Dites, comment vous connaissez Michael ? changea-t-elle de sujet.

Je me dis qu'elle avait répondu à mes questions sans rechigner, et que la moindre des choses étaient de faire de même. Sans compter que plus la conversation avançait, plus elle allait se confier.

– On s'est rencontrés par hasard. Je faisais du bénévolat dans la maison de retraite où loge votre ex-mari.

– Il lui rend encore visite, alors, grimaça-t-elle sur un ton qui se voulait tout de même plaisantin.

Je pouvais ressentir tout l'amour qu'une grand-mère éprouvait pour son petit-fils, c'était adorable à voir. Alors qu'elle avalait une nouvelle gorgée, j'osai approfondir ce sujet.

– Combien de frères et sœurs a-t-il, d'ailleurs ?

– Michael est le septième de neuf enfants.

Neuf ?! Et elle avait assez d'affection pour chacun d'entre eux ?! Évidemment, quelle question. C'est une grand-mère.

C'est alors que je la vis reposer sa tasse maintenant vide, avant de se lever difficilement. Je pensais qu'elle allait me demander de partir, à présent, mais à la place, je la vis se diriger vers le couloir à l'opposé de la porte d'entrée.

Page Blanche Où les histoires vivent. Découvrez maintenant