– C'est regrettable. Montez, mademoiselle.
Ophélie s'efforça de ne pas montrer son inquiétude à sa famille. Farouk avait-il finalement perdu patience ? Allait-il lui demander de lire son Livre, pour de vrai cette fois ? Thorn se trouvait sans doute déjà à l'autre bout de l'arche et Berenilde n'était pas encore revenue du sanatorium ; la seule pensée d'affronter Farouk seule donnait à Ophélie des crampes d'estomac.
Elle se sentit à la fois surprise et rassurée en voyant que les sœurs d'Archibald se tenaient elles aussi sur les banquettes fourrées du traîneau. Elles n'étaient ni coiffées ni maquillées et leurs robes avaient été lacées avec une négligence inhabituelle.
– Que se passe-t-il, mademoiselle Patience ? murmura Ophélie en s'asseyant en face de l'aînée.Que nous veut-on ?
Pour toute réponse, et de façon parfaitement inattendue chez une jeune fille aussi distinguée, Patience lui bâilla au nez.
Ophélie remarqua, en levant les yeux vers l'hôtel, la silhouette volumineuse de Cunégonde qui les observait depuis la fenêtre de sa chambre. Elle tira aussitôt les rideaux, comme si elle ne voulait pas être vue. Maladie nerveuse ou non, cette Mirage se comportait de façon vraiment suspecte.
– Une seule personne pour accompagner mademoiselle, annonça un gendarme d'un ton formelquand tous les Animistes se ruèrent sur le traîneau.
– Moi, décida la mère. Esprit de famille ou non, M. Farouk reste un homme. S'il veut fréquenter mafille, il devra me demander d'abord la permission.
Quitte à choisir, Ophélie aurait préféré être accompagnée par Renard. Il s'était penché sur la rampe du traîneau pour l'assaillir de documents et de recommandations :
– Ça, ce sont vos papiers d'identité. Vous les aviez oubliés dans la poche de votre autre manteau,vous en aurez besoin. Ça, c'est le fac-similé du contrat de monsieur votre fiancé avec le seigneur Farouk et ça, c'est votre licence professionnelle pour votre cabinet de lecture, mais surtout, vous ne la sortez que si le seigneur Farouk aborde la question. Je me charge d'avertir Mme Berenilde et votre tante. D'ici là, pas d'imprudence, gamin.
Une main retenant son chapeau à plumes, la mère d'Ophélie prit place sur la banquette avec une dignité de duchesse. Quelques instants plus tard, alors que le traîneau de police remontait un couloir aérien à la vitesse du vent, son chapeau fut emporté au loin.
Après l'atterrissage sur la Grand-Place de la Citacielle s'ensuivit une interminable montée à travers les étages, sous l'escorte des gendarmes. À chaque correspondance d'ascenseur, et il y en eut un nombre considérable, un officier en uniforme blanc et or vérifiait leurs papiers d'identité, puis leur faisait signe de prendre place dans la cabine suivante. Jamais Ophélie n'avait vu un tel déploiement de sécurité et personne ne se donnait la peine de leur fournir la moindre explication.
Sa mère devenait un peu plus rouge d'étage en étage et reposait sans cesse la même question outrée :
– Que voulez-vous à ma fille ?
À quoi un gendarme lui servait imperturbablement la même réponse :
– Le seigneur Farouk demande à la voir, madame. Elle et les demoiselles de l'ambassade. Il a aussidemandé Mme Berenilde, mais puisqu'elle n'est pas là...
– Ce n'est pas une manière de se comporter envers des jeunes dames, tout de même ! s'indigna lamère d'Ophélie. Tu me l'aurais dit si tu avais fait une bêtise, n'est-ce pas, ma fille ? Ah, là, là, si j'avais su, je serais allée à la toilette d'abord. Combien d'ascenseurs encore nous faudra-t-il prendre ainsi ?