Partie 9 sans titre

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– à leurs épices ainsi qu'à leurs délicieux agrumes. La piste des sabliers bleus nous mène pour l'instant jusqu'à Mme Hildegarde, mais tant que sa culpabilité n'a pas été avérée, il nous faudra veiller à ce qu'elle soit traitée avec élégance, chantonna le baron Melchior en articulant mélodieusement ce dernier mot à l'adresse des gendarmes. Si nous avons la chance de la trouver à sa manufacture, je suggère que nous la placions en état d'arrestation, dans une cellule dont même son pouvoir ne pourra pas la sortir, mais uniquement le temps de débrouiller cette affaire et sans brutalité aucune. Nous nous comprenons bien, messieurs ?

Les gendarmes se tinrent au garde-à-vous, le menton haut, sans échanger ni un mot ni un regard ; c'était probablement leur façon de dire « oui ».

– Si Mme Hildegarde est d'une façon ou d'une autre impliquée dans la disparition d'Archibald, ditThorn, je lui ferai personnellement livrer des fleurs en prison.

– Je n'ai rien entendu, philosopha le baron Melchior. Nous pouvons y aller, j'ai repris mon souffle.Vous venez, mademoiselle la grande liseuse familiale ?

Avant de se replonger dans les vapeurs de la rue, Ophélie eut un dernier regard pour l'Imaginoir, ses vitrines poussiéreuses, ses lanternes rouges éteintes. Elle venait soudain de se rappeler un détail important. Elle attendit qu'ils fussent tous dans l'ascenseur, après un énième contrôle d'identité, pour poser au baron Melchior la question qui lui démangeait les lèvres :

– Cet Imaginoir était à votre sœur ?

Le baron Melchior, qui repeignait ses cheveux en se mirant dans la glace de la cabine, eut une grimace embarrassée.

– À ma grande honte, oui. Fort heureusement, il a été fermé. Cunégonde est une artiste remarquable, mais elle devrait mettre son art au service de l'esthétisme, pas de la vulgarité.

Ophélie secoua la tête. Ce n'était pas là qu'elle voulait en venir.

– Votre sœur prétend que ses Imaginoirs font faillite à cause de la concurrence. La concurrence dessabliers de la Mère Hildegarde, précisa-t-elle.

Le baron Melchior sortit d'une poche un joli petit pot en métal, y puisa une noisette de cire parfumée et redressa ses longues moustaches d'un gracieux glissement de doigts.

– C'est la dure loi du marché, soupira-t-il. Oserais-je vous avouer que j'ai moi-même placé quelques actions dans la manufacture de Mme Hildegarde ? Je commence d'ailleurs à me demander si j'ai fait une si bonne affaire que ça, ajouta-t-il après une seconde de réflexion. Si nous avons tout à l'heure la preuve que les sabliers bleus sont dangereux, je vous laisse un peu imaginer le scand...

– La dernière fois que je l'ai croisée, Mme Cunégonde était en possession de sabliers bleus, lecoupa Ophélie. Beaucoup trop pour une consommation personnelle. Elle m'a demandé de rester discrète mais, étant donné ce qui se passe, je ne peux plus le garder pour moi.

Les moustaches du baron Melchior s'effondrèrent sous le coup de la stupéfaction. Si la situation n'avait pas été si dramatique, il aurait été presque comique.

– Vous êtes certaine de cela ? Voilà qui est très embarrassant ! Je vous concède que ma sœur n'estpas irréprochable mais, je le jure sur mes souliers neufs, elle n'est ni une trafiquante, ni une criminelle.

Ophélie interrogea Thorn des yeux pour avoir son sentiment, mais il détourna le visage et fronça ses sourcils d'un cran supplémentaire, comme si elle n'en finissait plus de le mécontenter. Avait-elle donc commis un nouvel impair ?

Un dernier ascenseur et trois contrôles d'identité plus tard, ils passèrent sous un porche où était écrit, en grandes lettres délavées :

MANUFACTURE FAMILIALE HILDEGARDE & CIE

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