disparue dans des circonstances tout à fait obscures. Les aveux écrits de cette dernière avaient mystérieusement disparu.
Ophélie avait évidemment demandé à témoigner, mais on ne l'avait pas autorisée à le faire dans l'enceinte du tribunal. Un greffier s'était contenté de recueillir sa déposition et elle était convaincue que ce papier n'avait jamais quitté le tiroir où il avait été rangé.
Le verdict était tombé tôt ce matin-là avec la rapidité d'un couperet. Déclaré traître à sa famille, Thorn avait été condamné à la Mutilation de ses deux pouvoirs familiaux, à la suite de quoi il serait jeté hors des murailles. Livré aux Bêtes sans ses griffes et sans sa mémoire. Et comme si cette mécanique judiciaire n'était pas suffisamment expéditive, l'application de la sentence avait été arrêtée pour la semaine suivante.
Ophélie ravala la bouffée de panique et de colère qui lui remontait du ventre. Elle ne le permettrait pas. Quand Thorn avait choisi de se rendre à la justice, elle lui avait dit qu'elle respecterait sa décision ; à aucun moment elle n'avait promis de ne pas s'en mêler.
– Le gynécée ! annonça le groom.
Ophélie allait lui demander de poursuivre son élévation, mais quelqu'un tira la sonnette de la grille pour monter à bord. C'était Archibald.
– Mes hommages, salua-t-il en soulevant son vieux haut-de-forme.
Mal peigné, mal rasé, mal habillé : on aurait dit un vagabond. Le groom lui-même ne put réprimer un froncement de sourcils en le voyant prendre place dans l'ascenseur.
– Vous avez une mine pitoyable, lui dit la tante Roseline. Comment vous sentez-vous ?– Pareil à ma mine, chère madame.
Le sourire plaisantin d'Archibald laissa place à ses yeux éteints. Il ne ressemblait pas à un vagabond ; il ressemblait au fantôme d'un vagabond. Non seulement la Toile avait rompu son lien, mais elle continuait de porter son deuil, à croire que sa présence corporelle ne suffisait plus à faire de lui un vivant. Ses propres sœurs le traitaient comme un étranger, son régisseur avait disparu dans la nature et la Mère Hildegarde, qui faisait partie intégrante de son univers depuis sa naissance, était morte. Son monde à lui aussi avait changé du jour au lendemain. Ophélie aurait voulu se sentir désolée pour lui, mais elle n'en avait pas le temps.
– Avez-vous du nouveau ? demanda-t-elle.
Archibald se servit une coupe de champagne au buffet de l'ascenseur.
– Je viens de m'entretenir, pour le dire décemment, avec Mme Nadia. Elle s'est d'abord montrée plutôt réservée quand elle a su ce qui m'amenait. Thorn n'a jamais été aussi impopulaire. Fort heureusement, tel n'est pas mon cas : personne ne résiste longtemps à Archibald !
Ophélie le crut volontiers. Aucun autre homme n'aurait pu entrer dans le gynécée de Farouk et en ressortir impunément, comme il venait de le faire.
– Mme Nadia est une favorite très intéressante, poursuivit Archibald après une gorgée de champagne. Elle n'a pas seulement les plus jolies jambes de la cour, elle a aussi le bras formidablement long. En quelques appels téléphoniques, elle a pu m'obtenir une rencontre de cinq minutes au parloir. Pour une prison d'État, je ne pouvais pas espérer davantage.
– Nous allons pouvoir parler à Thorn ? s'écria Ophélie qui sentit son estomac se recroquevillersur lui-même.
La tante Roseline la considéra avec un léger tressaillement, un peu troublée, mais elle ne dit rien.
L'ambassadeur secoua la tête, sourire en coin.
– Pas vous, non. Mme Nadia n'a accepté de rendre ce service qu'à moi. J'emploierai au mieux cescinq minutes, promit-il en faisant un effort pour paraître sérieux. Si Thorn a un message pour vous, je m'engage à vous le communiquer.