et se posta près de l'entrée avec, de toute évidence, la ferme intention d'y rester.
Incapable de s'asseoir, Ophélie se sentait si fébrile que son animisme aurait fait partir n'importe quel siège au triple galop. Elle appuya son oreille contre le battant et perçut, à travers l'épaisseur du bois, des exclamations énergiques.
La voix de la tante Roseline dominait toutes les autres :
– Respirez comme un soufflet... Ainsi, c'est bien, continuez...
Le cœur battant, Ophélie retint son propre souffle pour mieux écouter. Pourquoi n'entendait-elle pas Berenilde ? Elle lutta contre la tentation d'enfreindre le règlement. L'idée d'assister à un accouchement la terrifiait, mais elle trouvait pire encore de rester dans le couloir. Lorsque la porte se mit à trépider sur ses gonds, Ophélie dut se résigner à reculer. Tant que son animisme ne serait pas calmé, il lui faudrait éviter tout contact rapproché avec des objets ; et la dernière chose dont Berenilde avait besoin, présentement, c'était d'une gamine paniquée à son chevet.
Ophélie fit les cent pas dans le couloir, nettoya plusieurs fois ses lunettes, grignota ses coutures de gant, entrouvrit les rideaux du balcon pour regarder dehors et les referma dès que le commentateur de Petit-Potin la pointa du doigt depuis l'estrade en criant dans son microphone, provoquant une pétarade de flashs photographiques.
Le carillon du sanatorium sonna dix coups, puis un, puis onze.
Ophélie se demandait comment Thorn faisait pour rester calme.
– Votre tante est rudement silencieuse, lui dit-elle.
L'intendant émergea du puits de ses pensées, puis acquiesça de façon presque imperceptible.
– Elle ne crierait pas sous la torture.
Il se tenait courbé sur sa chaise, les coudes piqués dans les genoux, les pans de son manteau pendant comme des ailes de corbeau. C'était un spectacle vraiment rare de le voir ainsi, les traits allongés, sans un froncement de sourcils ni une contorsion de bouche ni une raideur de mâchoire. Seul l'acier de ses yeux luisait intensément sous des paupières noires d'insomniaque.
Ophélie se rappela soudain la familiarité avec laquelle la préposée s'était adressée à lui. Thorn était déjà venu au sanatorium par le passé, et il était venu souvent. Quelque part dans les étages de cet établissement, à l'intérieur d'une chambre close, derrière un tatouage en forme de croix, il y avait sa mère. Une femme qui l'avait rejeté comme une expérience ratée et à laquelle il restait lié malgré tout.
Ophélie hésita. Existait-il une ramification quelconque entre la mémoire de la mère de Thorn, le Livre de Farouk et les agissements criminels qui frappaient la Citacielle ? Elle fut tentée de profiter du relâchement de Thorn pour lui poser la question, mais elle finit par estimer que ce n'était pas la meilleure façon de se réconcilier avec lui.
– Vous montez la garde, dit-elle à la place. Vous pensez que Berenilde est en danger ?
– En position de vulnérabilité. Si j'ai pu arriver jusqu'ici, n'importe qui d'autre pourrait en faire demême. La Toile n'est actuellement plus en mesure de lui garantir une protection.
Ophélie le crut sans mal. Si la Valkyrie se trouvait dans le même état que les diplomates qui titubaient dehors, elle ne serait pas d'un grand secours en cas de tentative de meurtre. Et puis, Ophélie n'oubliait pas que l'amitié de la Toile était tributaire de celle d'Archibald.
– Il ne nous reste plus que treize heures pour trouver l'ambassadeur, dit-elle en massant nerveusement son bras. J'ai l'impression que chaque seconde que je ne consacre pas à sa recherche est une forme d'abandon.