semblait dessiner une mystérieuse ponctuation, se posèrent sur Ophélie avec une froideur professionnelle.
– Ce sont ces dames qui vont nous défendre ? s'indigna la tante Roseline. Des gendarmes n'auraient-ils pas été plus appropriés ?
– Vous logerez au gynécée, comme toutes les favorites de Farouk, expliqua Archibald. Les hommes n'ont pas le droit d'y pénétrer. Ne soyez pas inquiète, les Valkyries sont les meilleures garantes de votre sécurité.
Ophélie haussa les sourcils, impressionnée. Elle avait séjourné suffisamment longtemps au Clairdelune pour avoir entendu parler des Valkyries. Ces femmes s'étaient spécialisées dans les escortes diplomatiques : elles observaient chaque détail, écoutaient chaque conversation avec une attention scrupuleuse. Elles étaient télépathiquement reliées aux autres membres de la Toile et certains d'entre eux avaient pour charge de consigner nuit et jour tout ce que les Valkyries voyaient et entendaient. Les personnalités confiées à leurs soins étaient sous bonne surveillance. Ces services-là n'étaient pas offerts au premier aristocrate venu.
Ophélie redressa ses lunettes sur son nez de façon à regarder Archibald droit dans les yeux. C'était comme contempler le ciel à travers deux fenêtres.
– J'ai été victime d'une terrible méprise. Je ne suis pas compétente pour raconter des histoires.Monsieur l'ambassadeur, vous m'avez offert votre amitié : pouvez-vous m'aider à dissiper ce malentendu ?
Archibald secoua la tête avec un sourire mi-navré, mi-ironique. En dépit de ses cheveux mal peignés, de ses joues mal rasées et de ses vêtements mal rapiécés, il était insolemment beau.
– Passez-moi l'expression, fiancée de Thorn, mais quand on fait son lit, on se couche. Surtout avecFarouk.
– Je n'ai pas eu le temps de bien plaider ma cause. Si je pouvais démontrer le bien-fondé de monprojet...
– Votre projet ? ricana Archibald. Vous voulez dire cette ridicule histoire de musée ? Oubliez çaimmédiatement, vous n'intéresserez jamais personne ici avec une chose aussi ennuyeuse.
– Vous..., suffoqua la tante Roseline. Vous êtes plus grossier qu'une planche mal équarrie !Archibald pivota vers elle, extrêmement amusé par l'insulte.
– Non, ma tante, dit Ophélie. Il a raison.
La lumière intense de la verrière faisait ressortir toute la poussière accumulée sur ses lunettes. Elle les ôta pour les essuyer dans la belle robe blanche que Berenilde lui avait offerte, sans se soucier de se salir, et se mit à réfléchir furieusement. Elle avait eu des semaines entières pour explorer de nouvelles idées, de nouvelles possibilités, et, au lieu de cela, elle s'était raccrochée à son ancienne vie.
– J'aimerais que vous regardiez attentivement ceci, l'interrompit Archibald. Je les ai « empruntés »au maître de cérémonie.
Il venait de sortir deux jolis dés, ceux avec lesquels il avait disputé la partie de jeu de l'oie. Il les tendit à Ophélie, mais c'est la tante Roseline qui s'en empara afin de les remettre elle-même à sa nièce. Elle avait assisté à suffisamment de débauches sous le toit d'Archibald pour ne tolérer ne serait-ce qu'un frôlement de doigts entre eux deux.
Ophélie vit que toutes les faces des dés étaient vierges.
– Comprenez-vous, fiancée de Thorn ? Ils sont pipés. Le maître de cérémonie est un Mirage, c'estlui qui décide quels chiffres doivent apparaître sur les dés qu'il lance.
– C'est pour ça que vous tombiez à chaque fois sur le puits ? murmura Ophélie, frappée par cetterévélation.
– Farouk gagne toujours. Vous auriez pu lui proposer d'ouvrir une fromagerie, il aurait décidé d'en faire une chocolaterie.