Comme il en avait pris l'habitude, Neram se trouvait perché sur le beaupré. Le Pourfendeur était un navire d'une trentaine de mètres de long dont la coque était entièrement constituée de métal. Le mât était pourvu d'une très large voile faite d'une matière presque transparente. Deux autres, plus petites, étaient attachées de chaque côté du voilier. Enfin, de puissants moteurs trônaient à l'arrière. Ils se révélaient parfaitement silencieux.
Alors qu'il fendait les nuages, Neram avait l'impression de voler. Seulement, la moindre secousse risquait de le faire basculer dans le vide, d'autant qu'il était plutôt chargé. Une épaisse veste en cuir lui permettait de résister au froid. En plus d'un fusil accroché en bandoulière, il portait une besace à sa ceinture ainsi qu'un revolver caché dans son étui. Le vent soulevait ses cheveux châtains. Ils étaient à l'origine attachés en catogan, mais plusieurs mèches s'étaient échappées, se plaçant devant son visage. Elles masquaient par intermittence sa vue. Pourtant, ses yeux verts scrutaient sans faillir le paysage.
Il venait à en oublier qu'il se tenait au-dessus du vide. Le risque de tomber ne l'inquiétait pas. C'était dans ce genre d'instant qu'il se sentait véritablement libre. L'espérance de vie des humains avait considérablement diminué ces dernières années. Le danger était partout depuis que les Draëgons avaient pris possession de presque tous les hommes, faisant d'eux leurs pantins. Ils traquaient avec acharnement ceux qui ne l'étaient pas encore.
À peine âgé de vingt-quatre ans, Neram avait déjà failli périr à de nombreuses reprises. Cela ne lui avait pas pour autant appris à faire preuve de réelle prudence. Il avait passé toute son existence dans les cieux. Il ne connaissait rien d'autre. Comme tous ses semblables, il ne posait pied sur la terre ferme que très rarement. La plupart du temps, il ne s'agissait que d'îlots.
Il portait toujours son regard dans le lointain comme s'il espérait apercevoir quelque chose de nouveau. La terre promise, celle où les siens pourraient enfin trouver refuge. Une forme apparut alors dans l'horizon. Celle-ci grossissait progressivement. Neram se redressa, se retrouvant en équilibre sur une simple tige métallique au beau milieu d'un océan de nuages. L'espace d'un instant, il eut envie de déployer ses bras. Peut-être pourrait-il s'envoler ? Le jeune homme, rebuté par cette idée, secoua la tête. Il n'était pas un Draëgon ni un Volzien. Seuls ces monstres en avaient la capacité.
Helca l'arracha à ses pensées en venant se poser sur son avant-bras. Il s'agissait d'un aigle entièrement fait de métal. La créature, en plus d'être particulièrement réaliste, dégageait une intelligence farouche dans l'éclat artificiel de ses yeux.
Une secousse ébranla soudainement le navire. Neram se rattrapa de justesse au beaupré. Alors qu'il n'y avait pas un seul nuage, un vent puissant s'abattit sur le Pourfendeur, maltraitant les voiles. En un instant, le ciel se teinta de gris sombre ; un orage approchait. L'ennemi semblait avoir décidé de se jouer d'eux.
Helca émit un long cri avant de quitter le bras de son propriétaire. Elle s'éleva dans les airs. Neram poussa un soupir. Les simples missions d'approvisionnement ne se passaient jamais comme prévu. Ils devaient à l'origine atteindre un îlot, où poussaient plusieurs arbres fruitiers.
Sur le pont, les membres de l'équipage de Vanrek, le capitaine de ce navire, s'activaient déjà. Ils avaient tous brandi leurs fusils ainsi que des filets électrifiés, comme s'ils partaient à la chasse. Sauf que la proie c'était eux. Le soleil disparut pour laisser place à une obscurité glaçante. Malgré les sources de lumière présentes sur le vaisseau, on n'y voyait plus rien. Des cris résonnaient dans les ténèbres. Les premières victimes tombaient.
Neram inspira profondément. Il s'accrocha au beaupré et entama la descente. Il avait suffisamment exécuté cette manœuvre pour savoir la faire à l'aveugle. Il attendit le dernier moment pour bondir sur le pont. Un individu aux yeux rouges comme le sang surgit brutalement devant lui. Un Marqué. C'était ainsi que les rebelles nommaient les hommes sous emprise draëgonne. Ces créatures devenues si différentes et féroces n'hésitaient pas à faucher ce qu'il restait de l'humanité. On les reconnaissait de par leurs yeux, leurs ailes mais aussi les runes qui parcouraient leur corps, les alimentant en magie. Ils ne recelaient plus rien d'humain.
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Les guerres célestes - Tome 1 : La chute des volziens
FantasiAprès avoir vaincu et enfermé les Draëgons dans une autre dimension, les Volziens règnent sans partage sur les Cités Célestes, dédaignant les hommes qui foulent le sol d'Ermédia. Deux millénaires plus tard, un poison se répand sur terre. Désespérés...