Chapitre 22

298 95 67
                                    


Nergal Del Rio...

Par la baie vitrée, j'observe les nuages qui s'étirent paresseusement sous les lueurs enflammées de l'aube naissante. Bien des humains paieraient cher pour se gargariser de la vue exceptionnelle en haut des tours.

Pour ma part, et depuis que mon vaisseau a atterri sur cette maudite planète, pas grand-chose ne trouve grâce à mes yeux. Mon monde est fait d'une glace si limpide que l'on pourrait y admirer son reflet. C'est un univers silencieux où rien ne bouge, où l'obscurité a englouti chaque diamant du ciel. Je voudrais déployer mes ailes au-dessus des immenses montagnes et tout autour de moi, les cristaux transparents de mon souffle formeraient une fabuleuse armure de givre.

Je m'arrache à regret de mes pensées. Il ne sert à rien de pleurer ce que l'on n'a pas encore perdu. Mes yeux rencontrent avec indifférence les courbes fermes d'un postérieur assorti à une abondante tignasse orangée.

Le tout est vautré dans mon lit.

J'avoue que j'aurais préféré que le petit serveur s'éclipse discrètement après m'avoir permis de savourer les secrets de son corps. Il vient de s'éveiller, s'étire avant de se lever.

— J'ai super faim, murmure-t-il, cette nuit fantastique m'a mis en appétit.

Je contemple de nouveau les nuages avant de répondre sèchement :

— Prends tes affaires et va-t'en !

Le teint naturellement pâle du rouquin vire au blanc cireux. Avec une démarche chancelante, il récupère ses vêtements éparpillés dans la pièce.

— J'ai fait quelque chose de mal, souffle-t-il d'un ton brisé, en enfilant son T-shirt à l'envers.

— Pas vraiment ! J'ai simplement envie d'être seul.

Au bord des larmes, il se risque à une question.

— On va se revoir ?

Ma réponse est sans la moindre équivoque.

— Non !

Il renifle un peu, puis quitte enfin mon appartement...

Je sais qu'elle est là ! J'ai senti sa présence juste avant le lever du soleil, et elle est accompagnée.

— J'ai bien cru que tu ne nous débarrasserais jamais de cet importun, gémit-elle de sa voix rauque.

Aux côtés d'Ereshkigal, je reconnais la haute silhouette, la noble figure de mon cher Caym. Je ne peux pas m'empêcher de scruter le regard du pantin forgé par ma reine.

— Je l'ai amélioré, clame-t-elle en battant des mains ainsi qu'une enfant.

Elle est pourtant bien plus âgée que nombre de planètes et d'étoiles. Elle tourne autour de son ouvrage avec fierté.

— Allons, mon petit Caym ! Dis quelques mots à ton général.

La tête haute, il effectue un impeccable salut militaire.

— Heureux de vous revoir, général.

Je pourrais y croire, mais les ossements de Caym, ou ce qu'il en reste blanchissent quelque part sur l'une des planètes d'Alpha Centauri. Les amusements cruels d'Ereshkigal ne changeront rien à cette tragédie.

— Ce n'est qu'une reproduction sans intérêt.

Je n'ai pas eu la prudence de me taire. Un éclair de rage traverse les iris mordorés de ma souveraine et le malheureux pantin est dévoré par les flammes sans émettre le moindre cri.

— Tu vois ce qui arrive quand tu joues les indifférents, souffle-t-elle d'un ton irrité.

Malgré la menace voilée, elle n'ignore pas que je n'ai jamais eu peur d'elle. Toute trace de courroux disparaît subitement de son beau visage, pour faire place à une douceur que je connais bien.

— Mon magnifique Nergal ! Je n'ai jamais compris pourquoi tu as refusé de devenir mon roi.

— Je ne suis pas fait pour régner, Majesté !

Elle laisse échapper un rire léger.

— Tu ne manques pas de courage ! J'aurais pu te faire arracher les ailes et le reste très lentement, morceau par morceau.

Sa langue est venue caresser ses lèvres parfaitement ourlées. Je suppose que ce genre de spectacle s'avèrerait autant un calvaire pour moi qu'une excitante distraction pour elle.

— Qui voulais-tu oublier en jouant les étalons avec ce misérable humain ? interroge-t-elle avec un sourire mielleux. Ce ne serait pas une délicate, merveilleuse, rafraîchissante source de puissance à peine éclose.

Evangeline a utilisé son pouvoir et ce n'est pas passé inaperçu. Cette foutue idiote n'a pas jugé bon de suivre mon conseil.

— Tu es inquiet pour elle, marmonne Ereshkigal avec un air gourmand, comme si elle s'apprêtait à déguster une friandise.

— Pas le moins du monde !

Aussitôt qu'Evangeline a manipulé sa magie d'une manière désordonnée et particulièrement repérable, j'ai compris que cette gamine était condamnée. Ma mission est terminée puisque ma souveraine va sans doute réduire son corps en charpie, à moins que miss Wyllt ne finisse comme ce pauvre clone de Caym.

Ereshkigal éclate d'un grand rire.

— J'ai adoré sentir son doux parfum d'innocence ! Tu sais qu'elle a tué quelques larves inutiles d'un simple battement de cils.

Elle ne m'apprend rien. Le flot d'émotion qui a submergé Evangeline est arrivé jusqu'à moi sans prévenir.

Presque de quoi gâcher ma petite soirée avec le rouquin !

— Ces femelles Wyllt ne sont pas dépourvues de charme. L'un des nôtres n'a-t-il pas succombé à celui d'une certaine Adhan ? ricane-t-elle.

Adhan était la mère de Myrddin Wyllt. La plupart d'entre nous n'aiment guère évoquer celle qui a laissé supposer que ma race possédait peut-être un cœur.

Ereshkigal s'est mise à sourire une deuxième fois, ce qui est rarissime.

— J'ai de grands projets pour cette petite ! Tu en fais partie, mon magnifique Nergal.

Miss Wyllt va donc continuer de respirer, et c'est plutôt une bonne nouvelle. J'avoue que je suis incapable d'expliquer pourquoi cette idée me plaît autant.

 J'avoue que je suis incapable d'expliquer pourquoi cette idée me plaît autant

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.

On comprend pourquoi Ereshkigal lui a proposé de devenir son roi. 

L'Élue (Evangeline)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant