Chapitre 2

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Le lycée est formé d'un agglomérat de plusieurs modules grisâtres, tous plus moches les uns que les autres. L'ensemble est soi-disant parfaitement isolé, entièrement climatisé. Sauf quand c'est la panne sèche et qu'il fait plus de 105 °F au-dehors. 

En compagnie de Ahn, je traverse rapidement la foule des lycéens. Je ne suis pas vraiment populaire, surtout depuis cette affaire du marché. Ce n'est pas que les gens me détestent, c'est juste qu'ils ont peur du gouverneur et de ses sbires. 

Depuis le jardin d'enfants, Ahn est ma seule amie.

Son pays d'origine, le Vietnam, n'existe plus depuis longtemps. Toute la partie sud-est de l'Asie a été touchée par la montée des eaux. Les répercussions sur les activités agricoles se sont avérées catastrophiques. Les famines, le manque d'eau potable ont poussé de nombreux réfugiés à quitter en masse leurs maisons sans espoir de retour. Ils ont rejoint les zones habitables à travers le monde, là où les digues, les brise-lames ont tenu bon, comme ici dans l'état de New York.

Le prénom de mon amie signifie plus ou moins "rayon de soleil" en vietnamien, il lui convient parfaitement. C'est une fille belle, lumineuse et par-dessus tout avec un grand cœur. Comme à son habitude, elle a glissé son bras sous le mien, ses cheveux noirs virevoltent sous la brise déjà étouffante du matin.

— Te fais pas de souci pour l'évaluation, le docteur Greene est un chic type, remarque-t-elle d'un ton léger.

J'acquiesce en affichant un air réjoui, même si je ne suis pas trop dans mon assiette. Ahn a raison, le docteur Greene est plutôt gentil malgré qu'il fasse partie de ceux d'en haut, comme tout le personnel qualifié du lycée. 

Ceux d'en bas n'ont aucun accès à des études supérieures. Ils ne seront jamais professeurs, avocats, médecins, journalistes, ingénieurs, chercheurs. Nous sommes formés uniquement pour occuper des tâches subalternes telles que la maintenance des machines par exemple. Ahn et moi préférons ne pas songer à notre avenir. Avec de la chance, nous servirons des cocktails dans un bar cosy des tours.

Ahn se rend en cours, tandis que je traverse plusieurs doubles portes successives pour passer d'un module à un autre jusqu'au bureau du docteur Greene. Une petite alarme signale mon entrée, une odeur âcre agresse aussitôt mes narines et me file la gerbe. Dans un halo de fumée nauséabonde, un type inconnu est affalé dans le fauteuil préféré du docteur Greene. Il déguste un énorme cigare, les yeux scotchés au faux plafond.

— Vous êtes en retard, Miss Wyllt, annonce-t-il négligemment.

Bon sang ! 

C'est qui cet énergumène ? Où est passé le docteur Greene ?

La bouche arrondie, il semble absorbé à produire d'épaisses volutes malodorantes. Au bord de la nausée, je me racle un peu la gorge pour souligner calmement :

— J'ai rendez-vous avec le docteur Greene. Et je suis à l'heure... Monsieur ?

Il fait brusquement volte-face sur son fauteuil, à croire qu'il est monté sur ressort. Son visage est impressionnant, rien à voir avec la bouille joviale du docteur Greene. Il ressemble à un de ces cyborgs dont la fabrication a été arrêtée bien avant ma naissance. Ils étaient parfaits, beaucoup trop en fait. 

Tout le monde savait qu'ils n'étaient pas humains. 

La plupart de ces machines ont été affectées dans les diverses armées de la planète. À l'avènement du grand conseil, la paix universelle a été déclarée et les cyborgs ont disparu.

L'inconnu darde sur moi un fascinant regard bleu horizon cerclé de petites lunettes dorées. Il tire une dernière bouffée de son abominable cigare.

L'Élue (Evangeline)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant