Chapitre 34

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Selon Hariel Skyline, nombreux sont ceux qui ont ardemment rêvé d'entendre le chant. Au tout début de l'aventure humaine et dans tous les coins de la planète, certains ont perçu son murmure. Ils ont espéré le capturer à l'intérieur de statuettes ou d'amulettes pourvues d'un souffle vital et pouvant accomplir une infinité de merveilles : connaître l'avenir à travers des songes prophétiques, rendre ses ennemis malades à en mourir ou bien guérir ses amis des pires des maux, octroyer la douleur ou la joie d'un simple battement de cils.

Mais rares furent ceux qui dépassèrent la capacité de trouver une simple source d'eau souterraine. Alors les hommes ont oublié le chant... et ceux qui l'entendaient parfois étaient déclarés fous.

La technologie devint très vite le principal intérêt de l'esprit humain. Un grand nombre était censé profiter de ses bienfaits et ce fut le cas pour quelques siècles. La magie n'appartenait plus au monde réel. Elle existait seulement dans les histoires imaginées par des auteurs, les yeux perdus au cœur des étoiles.

— Qu'est-ce que le chant ?

Hariel Skyline esquisse un sourire au beau milieu du Tish Children's Zoo.

— Avant de savoir ça, tu devras apprendre à ordonner la cacophonie qui s'est incrustée en toi.

— C'est impossible ! Je suis la cacophonie... je suis à la fois le bien et le mal... l'ombre et la lumière... comme le sont tous les êtres humains, dis-je avec défi.

— Sauf que tu n'es pas humaine, réplique froidement Hariel. Tu es un être hybride, comme le sera ton fils.

Dernier ange de tout l'univers ou pas, cet emplumé a le don de m'énerver.

— C'est trop tôt pour savoir si ce sera un garçon ou une fille... en plus je m'en fiche.

— Que tu le veuilles ou non, continue-t-il, ta part humaine s'attachera d'instinct à la progéniture du général, ce n'est qu'une question de temps.

— Vous êtes censé me donner un cours de magie ou retourner méchamment le couteau dans la plaie ?

Je crois bien que j'écume de rage. Ahn affirme que la perte de Nergal constitue pour moi l'équivalent d'un deuil et qu'après avoir digéré la douleur de l'absence, je devrais entamer une véritable phase de résilience.

Genre, je ne me laisse pas abattre et je vais de l'avant.

Sauf que la plupart du temps, j'ai envie d'arracher la tête de la reine obscure et celle de son général avec.

Sauf que jour après jour, mon ventre s'arrondit, à croire que cette grossesse va se dérouler à la vitesse de la lumière.

Sauf que j'ai eu un mal fou à me débarrasser de Liam Neeson pour venir au Tish Children's Zoo, au point que Ahn a été obligée de l'enfermer dans le garage de son père.

Au lieu d'aller de l'avant, j'ai la désagréable impression de rétropédaler jusqu'à l'épuisement.

Et ça me met dans une colère noire, comme si une multitude de serpents me poussaient sur la tête et que je devenais monstrueuse. Devant moi, Hariel Skyline se tient droit comme un i, on dirait qu'il attend que quelque chose lui tombe dessus.

Quelque chose d'effroyablement puissant.

La fureur d'une fille séduite et abandonnée par exemple.

Peu à peu, la silhouette du dernier des anges se confond avec un simple point noyé dans un brouillard de couleurs et de sons. Je crois que je ne fais pas qu'entendre le chant, mais que je peux aussi le voir.

Ne serait-ce qu'un bref instant.

J'ai la sensation de m'élever très haut, c'est brutal et enivrant. Mes bras s'étirent vers ce point minuscule que j'ai décidé de pulvériser et je ne perçois plus rien d'autre. Les serpents sur ma tête sifflent leur haine, leur désir de victoire, leur soif de vengeance.

Le point me résiste, il retient la vie que je m'acharne à lui voler, il m'appelle au secours. Un souvenir me revient... le point est un être fait de chair et de sang que je suis en train de détruire sans la moindre pitié.

Reviens, Evangeline... ne laisse pas l'obscurité te noyer...

La voix de Nergal a semblé retentir sous la forme d'un lointain écho, à peine perceptible.

Une immense douleur me submerge et je vois un véritable champ de bataille autour de moi. Les animaux musiciens du Tish Children's Zoo ne sont plus que des amas informes de pierres explosées aux quatre vents. Notre jardin à l'ombre des arcades en briques rouges n'existe plus, il est entièrement détruit, tout comme les arcades.

Mes yeux osent à peine chercher ce qu'il reste d'Hariel Skyline. Il est allongé au sol, parfaitement immobile quand une lumière d'une forte intensité jaillit de lui pour former une sorte de feu d'artifice monochrome.

C'est de l'or répandu tout autour d'Hariel quand il se relève.

Émerveillée, je contemple la magie de la lumière, celle qui naît de l'amour et de la vie.

Hariel va bien, mais son beau visage est franchement contrarié.

— Quelle puissance, souffle-t-il, tu as bien failli m'avoir ! Je n'ai vu qu'une seule fois Myrddin utiliser ce type de magie mortelle... tu as dû hériter de son expérience en même temps que ses pouvoirs. C'est impressionnant...

Est-ce que ce serait par hasard les félicitations du jury ?

J'exulte déjà...

Mais je déchante lorsqu'il ajoute d'un ton grave et attristé :

— Tu apprendras très vite ! Hélas, j'ai bien peur de ne pas avoir aperçu la moindre lumière en toi... il faut espérer que cela viendra...

Où alors on est mort ?

Hariel a baissé la tête en réponse à la question dictée par mon regard inquiet.

***

"Entre ombre et lumière, là ou plus rien n'existe et au cœur même du désespoir ou plutôt la fin de l'espoir, l'inattendu jaillit soudain comme un geyser d'amour et de lumière. Le cœur est percé, il s'ouvre et tout est connu, tout est consommé."

Mâ Satya 

L'Élue (Evangeline)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant