Chapitre 6

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La fin de journée commençait à pointer le bout de son nez dans la Comté. Le bleu du ciel laissait place à un dégradé orangé et la douce chaleur à une fraicheur nocturne. Bilbon regardait ce paysage bucolique se vider peu à peu de ses habitants. Il sentait qu'il était tant de rentrer, mais il voulait pouvoir encore profiter de son petit jardin et de sa pipe quelques instants. C'était peut-être la chose qui lui avait le plus manqué lors de cette expédition pour Erebor : simplement profiter du temps qui passe et de la quiétude d'une vie de hobbit.

Non pas qu'il regrettait son voyage inattendu, bien au contraire. Tous ces souvenirs et tous ces moments, il se les repassait dans son esprit encore et encore en se laissant happer par la fumée de son tabac. Son retour s'était fait sans embuches. L'aide du magicien lui avait permis d'avoir un peu de compagnie et de sécurité. De plus, revoir Gandalf lui avait fait un bien fou. Mais dès qu'il l'avait déposé chez lui et qu'il était reparti dans on ne sait quelle mission, la solitude était venue à nouveau le trouver. Ce fut comme si un sentiment étrange de vide était venu l'habiter. Et depuis son retour, ce sentiment étrange semblait peser sur ces petits moments de vie, pourtant si plaisants. Il avait cherché tous les moyens de s'en débarrasser et de cesser de ressasser le passé. Pourquoi ne pas conter ses aventures ? Il pourrait garder une trace de son voyage et la partager à sa communauté. Cette idée qui lui avait paru brillante sur le moment même avait vite laissé place au douloureux syndrome de la page blanche. Il était rentré chez lui et, pourtant, un sentiment d'inachevé l'empêchait de commencer son histoire. Même assis sur son petit banc en bois, face à son voisinage paisible, loin des conflits de la montagne, loin des dangers et des créatures belliqueuses, loin de ces fuites interminables et de ces nuits interrompues par le danger, il avait l'impression de n'avoir jamais vraiment quitté Erebor. Ce moment où il avait dit au revoir à son ami, quelque chose avait manqué. Quelque chose dans la manière dont il avait quitté Thorin ne semblait pas correct.

Il finit par rentrer chez lui quand il commença à apercevoir de la fumée sortir des cheminées de ses voisins et le froid lui chatouiller les orteils. Il était temps que lui aussi se prépare à manger et allume sa cheminée pour la nuit.

Rester à l'extérieur et profiter de l'air frais lui permettait aussi d'éviter de penser au second problème auquel il avait dû faire face à rentrant chez lui. Car si un vide existentiel semblait l'habiter, c'était aussi le cas de sa maison dans un sens bien plus matériel. Il avait eu la fâcheuse surprise de comprendre que pendant son absence on l'avait pensé mort. Et un profiteur avait vendu aux enchères tous ses biens. Presque tous les meubles, les ustensiles de cuisine, ses réserves de nourriture et même sa garde-robe étaient partie pour, lui avait-on-dit, un prix dérisoire. Seuls les quelques biens qui n'avaient qu'une valeur sentimentale ou qui auraient été trop lourds à transporter étaient restés. Parfois, il s'amusait à penser que si sa maison n'avait pas été directement creusée dans le sol, le charlatan aurait trouvé un moyen de repartir avec. Ainsi la première chose qu'il dut faire avant même de pouvoir retrouver sa vie calme fut d'aller trouver l'idiot qui avait organisé la vente aux enchères pour récupérer les noms des acheteurs. Puis il dut lui-même aller faire du porte-à-porte en espérant pouvoir récupérer ou racheter ses propres meubles. Tenter de convaincre les voisins et amis, qu'il connaissait depuis des années, qu'il était bel et bien vivant avait été aussi pénible que long. Heureusement, il avait pu récupérer quelques meubles et objets. Mais sa maison faisait quand même bien vide.

En passant devant la table de sa cuisine, il se souvint des lettres qu'il avait reçues dans sa boîte aux lettres aujourd'hui et qu'il n'avait pas encore pris la peine de lire. Depuis qu'il était revenu, il recevait des dizaines de ces bouts de papier lui demandant de confirmer son retour. Mais l'une des lettres attira son attention. Il la passa sous son nez et reconnut le parfum et l'attention élégante portés à la cire. Il l'ouvrit et tomba sur un faire-part de mariage soigné et décoré harmonieusement. Il avait déjà été mis au courant dans une lettre précédente que sa sœur allait se marier. Mais cette lettre-là lui avait été envoyée quand il était encore à Erebor. Elle dut être mise au courant de son retour et avait donc dû prendre soin de lui envoyer à nouveau une invitation pour ne pas qu'il rate cette fête. Elle avait lieu après-demain et Bilbon s'en réjouissait. Le bonheur de sa sœur était déjà une raison suffisante de s'en réjouir. Mais l'idée de pouvoir penser à autre chose et retrouver la bonne humeur et l'ambiance des festivités des hobbits était revigorante. Peut-être que retrouver le visage familier de ceux qui avaient refusé de lui rendre ses couverts en argent ou de celui qui lui avait ouvert la porte en portant ce qui avait été son peignoir l'agacerait. Mais il pourrait revoir sa sœur, lui qui l'avait quelque peu perdue de vue lorsqu'elle s'était fiancée. Elle était partie de la Comté pour découvrir la région, avait-elle dit. Et ce mariage était l'occasion pour elle de revenir à ses racines et de retrouver ses proches. Lui qui lui avait dit qu'elle avait tout pris de son grand-père en voulant partir de la Comté et explorer le monde aurait beaucoup à lui raconter.

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