Lettre 10

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Maman,

Je me suis toujours demandé si tu faisais souvent des cauchemars. Je ne t’ai jamais entendue crier dans ton sommeil. Pourtant ce n’est pas faute d’avoir tendu l’oreille, je te le garantie ! Non, Maman, jamais autant que moi du moins. A mes yeux tu parvenais à garder ton calme. Maintenant je sais que je me trompais.

Tous les jours, je suis forcée de voir cet homme. Il est grand, moustachu, le sommet du crâne légèrement dégarni. Ses yeux sont gris il me semble. Il a de petites lunettes rondes posées sur le bout de son nez, si bien qu’il regarde par-dessus. Normalement nous sommes censés converser ensemble. Normalement. Mais c’est toujours la même question qui revient à chaque fois : « Comment ton père est-il mort ? ». Cet homme et moi savons très bien que c’est cette perte qui a tout fait chamboulé dans ma vie, dans notre vie. Cependant je réponds toujours la même chose :

- Par ma faute.

- Par ta faute ? répète l’homme d’un ton calme et détaché.

Je hoche lentement la tête en regardant ses pieds sans les voir.

- C’est-à-dire ? insiste-t-il.

J’ouvre la bouche, prête à prononcer ma réponse. Mais je me rends compte que je ne sais pas. Je ne sais rien du jour où Papa est mort. Je ne me souviens plus…

- Je ne sais pas… j’ai oublié… dis-je dans un murmure.

En revanche, je sais que c’est de ma faute. Tu me l’as répété tant de fois !

- Non Jules. Tu t’en souviens. Seulement tu essaies de te convaincre ce qu’on t’a dit si souvent. Tu as peur maintenant que personne ne te croit ou qu’on te punisse. Mais ici il n’y a que moi et tout ce qui se dit dans cette pièce reste entre toi et moi.

Il ne comprend pas. Je ne sais plus ce qu’il s’est réellement passé, Maman. Il n’y a que toi qui le sais et le seul détail que tu acceptes de me livrer c’est que c’est moi la fautive.

Alors que je m’apprête à sortir de la salle, l’homme finit par confier :

- Marlène n’est plus là pour t’empêcher de t’exprimer et dire ce que tu penses vraiment.

Je ferme la porte derrière moi et au lieu d’aller en cours comme je suis censée le faire, je me dirige dans la direction opposée. La sortie du lycée.

C’est vrai Maman, tu n’es plus là. Mais c’est tout comme. J’ai l’impression que tu es toujours présente dans mon esprit… Tu me hantes un peu plus chaque jour…

Jules

We always know the truthOù les histoires vivent. Découvrez maintenant