02 Happy birthday, Tara

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Dans les organisations mafieuses traditionnelles, le fils aîné est celui qui prend la relève, au décès de la figure de référence. La rapidité avec laquelle mon frère s'est emparé de son devoir me fait comprendre qu'il savait où était sa place alors que je cherche encore la mienne. La rage de Gianluca envers le clan ennemi est ce qui le motive chaque jour à se lever. Il a été bercé par la haine pour Tarente et en fait son obsession.
Cette ville du Sud est notre total opposé. Nous affrontons leur bassesse et absence d'honneur. Comment qualifier autrement le fait de suivre une jeune fille pour liquider son père ? Mais cette rivalité ne date pas d'hier. D'aussi loin que je m'en souvienne, ils ont toujours été notre cible dans le viseur. L'élément déclencheur de cette guerre est en lien avec ma mère, mais aucun de ceux que je côtoie ne l'explique. Il s'agit d'un des nombreux secrets qui gangrènent le clan. Aveuglément, j'ai appris à détester les hommes du Sud aussi fort que je respire. Et depuis ce drame, Tarente m'a donné une raison supplémentaire de les voir tomber.

La nuit sur Rome a beau être dégagée ce soir, je n'aperçois pas les étoiles. La pollution offre une couche protectrice qui sépare le déchet humain de la beauté de l'univers. À la fenêtre du salon, du haut du onzième étage, je me laisse bercer par le bruit ambiant de l'immeuble. Véritable abomination architecturale, le bâtiment en forme de voile servait à accueillir les familles nécessiteuses avant de servir de QG à notre organisation. Le silence y est perpétuellement absent. Chaque étage cache un mal que nous entretenons. Des hommes y perdent la vie. Des femmes oublient leur fierté en participant au commerce du sexe. Et l'illégalité est passé sous silence. Le vice a le don de ne pas faire de distinction entre les sexes. Il s'empare de tous les cœurs.

La mafia n'épargne pas les fragiles. Sans protecteur, il n'y a aucun moyen de s'en sortir. Tous ceux qui animent les pièces de cet immeuble ont une bonne raison d'y participer. L'argent. La colère. La vengeance. La solitude.
Je dois être la seule à qui on demande de rester en dehors de cela. Laisse-nous nous occuper de ce problème. Continue tes études. Reste en dehors de ça. Il faudrait que je reprenne ma vie là où je l'ai laissée, sans porter attention au feu qui brûle en moi.
Le problème de ces hommes est la place de la femme. Dans la vision archaïque de la mafia, celle-ci n'a pas voix au chapitre. Côtoyer les monstres n'implique pas de les affronter.
La passivité n'a jamais été mon fort. Et l'ironie fait que mes protecteurs ont été ceux qui m'ont infligé de profondes fêlures.

J'essaye de les écouter, de vivre comme une jeune fille normale malgré le drame. Mais les battements de mon cœur sont assourdissants. Une héritière mafieuse n'a pas la liberté d'aimer, car cela implique de la rendre vulnérable.
La cigarette à la main, je laisse le papier se consumer en me contentant de le secouer pour en faire tomber les braises. La chaleur que j'y perçois me replonge dans des souvenirs que j'aurais souhaité oublier.

Tu ne m'as toujours pas dit ce que tu veux comme cadeau Tara, m'interpelle Gianluca.
— Je n'ai besoin de rien.
— Réfléchis. Il doit bien y avoir quelque chose qui te ferait plaisir. Un sac ? Un bijou ?

Son air agacé ne trompe pas derrière le masque de froideur qu'il affiche. Perdre ces quelques heures au restaurant avec moi est déjà trop pour son business. Je ne suis qu'un poids mort, qu'il s'efforce d'entretenir pour que je reste sagement dans mon coin. S'il m'accordait plus d'intérêt, il saurait que le luxe ne m'attire pas, contrairement à la liberté.

À bien y penser, il y aurait peut-être quelque chose qui me tenterait.

La crainte s'imprime sur ses traits, avant qu'il ne se laisse déconcentrer par un message sur son téléphone. Plus vite nous en aurons fini et plus vite il retrouvera les problèmes dans lesquels il apprécie se noyer. À l'abri des regards dans le centre-ville, je patiente le temps qu'il réponde à son Second. Autour de moi, la décoration ne m'inspire guère. Trop kitch et criarde. Évidemment, le choix du restaurant m'a été imposé. L'efficacité prime sur les caprices. Nous sommes actuellement protégés par une quinzaine d'hommes armés, sans aucun autre client attablé. Le propriétaire des lieux est un ami du clan, même si cela n'empêche pas les serveurs de trembler à chaque passage.
L'ironie de la situation me fait réaliser que je suis destinée à vivre ce scénario pendant les années à venir, lorsque Gianluca m'aura trouvé un parti assez convenable à ses yeux. Mais l'avantage d'être une jeune fille obstinée est que ses projections ne s'accordent pas avec les miennes.
Concentré sur son visage, j'observe ses pupilles caramel qui me rappellent les miennes, quand ce ne sont pas nos cheveux de jais. Nous avons hérité nos traits de notre mère, mais du caractère de notre père. Ainsi, lorsque nos regards se croisent, mon frère prend conscience que je ne lui faciliterai pas la tâche.

Mafiosa , l'empire des Ceon (TOME 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant