04 De nouveaux engagements

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"I get this feeling like it all could happen"
Lana Del Rey, West Coast

J'ai l'impression que tout peut arriver.

***

Au rythme des marches que je descends, mon décolleté plongeant qui s'agite attire les regards des mafieux que je croise, dans une robe aussi sombre que provocante. Mes talons claquent sur le béton brut qui a l'avantage de ne pas glisser lorsqu'on empreinte cette partie de l'immeuble en courant. Les niveaux supérieurs sont bien trop silencieux en ce début de soirée, m'obligeant à chercher de la vie en dessous du huitième étage. Sage dans sa réflexion, mon père avait pensé cet endroit comme une entreprise. Au premier logent et travaillent les entraîneuses. Certaines sont accompagnées dans le quartier pour leurs passes, tandis que d'autres assurent le service sur place. Sous-estimées par mon frère, elles permettent aux hommes de se défaire de leurs pulsions et d'oublier la vie misérable qu'offre la mafia. Lorsque les plus fragiles s'engagent, seuls l'argent et le sexe représentent une source de motivation. Ensuite vient la loyauté qui se prouve par les actions et les années. Les proxénètes de l'immeuble ont une autogestion du business, tant que l'argent entre suffisamment.
Au-dessus se localise l'infirmerie qui nous sert aussi de clinique. La mafia a compris avec le temps qu'il était plus judicieux d'investir sur le long terme et de financer les formations de médecins et infirmiers pour en avoir sur place en cas de besoin. La police veille à toute notification d'incidents par balle dans les hôpitaux et se retrouve ainsi court-circuitée. Toutefois, le rapport que j'entretiens avec ces professionnels reste limité, car je doute encore du soutien qu'ils nous apporteraient si la menace d'années en prison se présentait. La pression en a fait chuter plus d'un et nous surveillons les girouettes, car de grands empires se sont déjà effondrés pour si peu.

L'omerta est la règle d'or. Elle impose aux membres du clan une coopération absolue sous peine de représailles. L'apparence physique est aussi capitale que la réputation pour garder en crédibilité. Un équipement complet permet à la centaine d'hommes qui circulent d'assurer une condition optimale pour les affrontements constants. Un réseau se tient de l'intérieur contre l'extérieur. Mais nous ne sommes jamais à l'abri des grands rêveurs qui tentent de s'emparer de points de deal, en espérant ne pas se faire prendre. Le quatrième étage accueille donc ces opportunistes et voit de nombreuses vies défiler. Le crématorium de Prima Porta récupère ensuite nos déchets pour les faire disparaitre, quand ils ne sont pas enfouis dans le béton coulé.
Plusieurs armureries sont réparties dans le quartier, pour une rapidité d'intervention, mais la plus conséquente se situe au cinquième étage. Celle-ci est assez loin, en cas de descente policière dans la zone, mais en même temps assez proche pour récupérer des armes sans être à bout de souffle. Des vingt années passées entre les murs du QG, je n'ai jamais vu les forces de l'ordre y pénétrer, mais les leçons du passé nous enseignent que rien n'est acquis. Quand l'eau se montre calme, une tempête approche.
Les étages six et sept sont consacrés à la préparation du stupéfiant pour sa commercialisation tandis que le huit récupère le cash. C'est ici que ma descente se montre intéressante, car chaque homme de garde est aux aguets. Les comptes me sont inconnus et ce n'est pas le visage impassible de Gianluca qui laisserait transparaitre quoi que ce soit. Je base donc cette confiance dans nos finances sur Enzo, aux commandes lorsque le nouveau parrain s'accorde une pause.
Toutefois, aucun des deux dirigeants n'affiche sa présence, à chaque mètre que je parcours, si bien qu'une inquiétude s'éveille en moi. S'ils souhaitaient m'éviter, ils ne pourraient mieux s'y prendre. C'est peut-être le sentiment perpétuel qu'ils m'inspirent. Tout est fait pour me tenir à l'écart, comme ce cent-cinquante mètres carrés que j'occupe qui n'a rien de la bulle protectrice annoncée. Elle me tient éloignée des dangers et ne me permet pas de participer à la riposte. Je suis de celles qui s'équipent d'une arme lorsqu'on lui demande de courir, pas qui obéissent. J'envisage au premier abord de m'équiper plus lourdement qu'un simple sac de marques contenant mon portable, mais me persuade que je panique sans raison. Pourtant, ce n'est pas l'ambiance électrique que je trouve au premier qui me rassure. Les filles sont réunies dans le couloir, dans un brouhaha assourdissant. Certaines sont en pyjama, d'autres en tenues pour aller travailler, mais rien n'explique ce désordre qui génère un climat de panique.

Mafiosa , l'empire des Ceon (TOME 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant