Mafiosa , l'empire des Ceon (TOME 1)

11 Le penseur

"It's nice to love and be loved, but it's better to know all you can know"
Lana Del Rey, Pawn Shop Blues

C'est bien d'aimer et d'être aimé, mais c'est mieux de savoir tout ce qu'on peut.

***

Le sommeil ne prend même pas la peine de venir frapper à ma porte, mon esprit refusant de lâcher prise. Je ne fais que revivre le sifflement des balles et les cris de stupeur. Puis, il y a ce sang et son odeur qui ne se détachent pas de ma peau. Jino s'est comme imprégné de moi, m'empêchant de trouver la paix. Désabusée, je me lève et me dirige vers la trappe menant au toit. Celle-ci s'ouvre dans un bruit fracassant qui alerte les gardes aux alentours. Je pénètre avec appréhension dans cet espace sombre et me fais éblouir par des lampes venues des résidences aux alentours. Les faisceaux s'éteignent lorsque je suis reconnue, mais ce retour à l'obscurité décuple mon angoisse. Quelle piètre fille de mafieux je fais, avec mes terreurs nocturnes. Je me trouve au sommet de l'immeuble le mieux gardé de Rome, pourtant mon esprit ne cesse d'imaginer une agression me précipitant au pied de la tour. Cette chute vertigineuse illustrerait à la perfection le rêve brisé de la digne héritière d'Icare, trop pressée de se rapprocher du ciel pour ignorer le danger. Mon besoin de maîtriser l'environnement dans lequel j'évolue résulte du peu de liberté que l'on m'accorde. J'aime imaginer que cet espace est à moi, le temps de mes minutes d'insomnie.

J'avance lentement vers le muret et pose mes mains afin de m'y appuyer. Les lumières de Rome brillent pour rappeler que cette ville ne dort jamais. Elle m'envoute de son aspect old money, ancré dans un passé authentique et chargé d'histoire.

— Tu ne vas pas sauter, rassure-moi, me surprend Vince.

Mon souffle se perd alors qu'un cri m'échappe. La puissance dominatrice que j'imaginais incarner n'a pas su se rendre compte qu'elle était suivie. C'est encore un échec, mais relatif quand on connaît les talents du consigliere. Son visage ne montre aucun remords pour la frayeur qu'il vient de me créer. Avec décontraction, il s'appuie sur la balustrade et détaille le point de vue que j'admirais.

— Tu t'es perdue ? me questionne-t-il.
— Je n'arrivais pas à dormir.
— Je m'en doute, mais ça n'explique pas ta présence en haut de l'immeuble.

Nous y montons rarement, car celui qui admire son territoire se rappelle à quel point il est facile de le perdre. Des frissons me parcourent à cette pensée, que je camoufle par mes épaules frictionnées.

— J'avais besoin de prendre l'air et c'était l'endroit qui me paraissait le plus sécurisé.
— C'est sûr que si tu avais proposé une petite balade sur l'esplanade, tu aurais achevé Gianluca. La fusillade a été éprouvante pour tout le monde.
— Quel est le bilan ?
— Quatre morts, deux blessés. Ces fils de putes nous ont pris par surprise.
— On est donc en guerre...
— Oui. De toute façon, je crois qu'on l'a toujours été.

Cette réalité est édifiante. Dans le milieu de la pègre, il y aura toujours quelqu'un pour envier votre réussite et souhaiter votre déchéance. Les Ceon n'échappent pas à cette règle. Mais il s'agit de vies réelles, celles que l'on engage en sachant leur espérance réduite. Vince retire momentanément ses lunettes pour masser la pression qui fait rage à la racine de son nez. Il est rare de le voir tomber le masque, encore plus quand l'échec engage son organisation.

— Ce n'est pas de ta faute.
— Si, Tara. C'est mon boulot d'anticiper ce genre d'attaques. J'ai une part de responsabilité dans la mort de ces hommes.
— Tout comme moi.

Si je n'avais pas trainé à la bibliothèque, nous serions rentrés plus tôt et mes gardes seraient en vie. Encore une ligne de mon histoire que je voudrais réécrire.