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Lundi 6 Mai 2019

Je regarde avec appréhension les portes d'entrée de mon école de journalisme, serrant contre moi mon sac de cours. Ça fait deux semaines que je n'y suis pas retournée. Depuis le drame en fait, ou la « trahison de ce petit fils de pute de bourgeois de Noé » selon Evan. Je me sentais incapable d'y aller, de supporter les regards curieux. J'en ai longuement discuté avec Flav', le manager de Mathieu. On a vu et revu le déroulement de cette journée: éviter habilement les questions, nier en bloc. Faire comme si de rien n'était.
Comme j'ai dénoncé Noé, l'affaire devrait passer « rapidement » devant le juge. D'ici trois-quatre mois. Une mesure d'éloignement a été prononcée. C'est peut être un peu exagéré, mais Flav' a des contacts et en joue. Il ferait tout pour préserver son petit protégé.

J'ai rarement été aussi entourée. Mon frère m'a beaucoup rendu visite à la coloc' pour boire un café ou mater un film. C'était clairement une excuse bidon pour parler de nos problèmes de cœurs respectifs, mais ça m'a fait plaisir qu'il reste à Paris le temps que mes emmerdes juridiques se tassent. Mes parents m'ont appelée tous les jours pour prendre de mes nouvelles, le matin et le soir. Ma mère m'a même fait des Tupperwares pour pas que je me laisse crever de faim. Evan et Sam m'ont fidèlement épaulés, ne me lâchant pas d'une semelle. J'ai eu des messages de L'entourage. Idriss et Hakim m'ont fait la promesse solennelle de retrouver mon ex-copain et d'appliquer la « méthode Arkrour ». Je ne préfère pas savoir ce que c'est. Doums s'est foutu de ma gueule en prétendant que ça n'arrive qu'à moi, la moins connue de l'équipe, à se faire prendre en flagrant délit par des paparazzi.
À vrai dire, le seul à ne pas être venu -ou revenu- est Mathieu. On a pourtant échangé quelques messages. Mais il y avait une tension dérangeante qui faisait qu'au bout de dix minutes, la discussion était close. Peut être est-ce du au fait que nous ayons couché ensemble. Rien qu'en y repensant, je sens mes joues s'empourprer.

Je soupire, chassant cette idée de ma tête. Je réajuste mes écouteurs, augmente le volume de ma musique puis pénètre dans l'établissement. Mes pas sont un peu trop rapides pour que je paraisse détendue. J'ai l'impression que tous les regards sont braqués sur moi, que les chuchotements s'intensifient. C'est presque en courant que je me rends dans l'amphithéâtre où se déroule mon premier cours. Je m'assois au dernier rang, installe mes affaires. Je garde mes écouteurs, essayant de me détendre en attendant que le prof arrive. Le strapontin à côté de moi claque bruyamment, me faisant sursauter. Je reconnais Anaë, la fille qui m'a envoyé tous les cours pendant mon absence. Son visage, comme le mien, est constellé de taches de rousseur. Notre ressemblance physique s'arrête ici. C'est une belle rousse, grande et dynamique. Elle est dotée d'iris verts curieux et d'un sourire éclatant. Nous ne sommes pas amies, mais elle est sympathique.

« T'écoutes quoi? m'interroge-t-elle.

-Les Beatles, » je mens.

Comment lui dire que j'écoute en boucle un vocal de Ken qui me dit que je vais tout niquer et que les autres élèves de ma promo sont des abrutis ?

Je retire mes écouteurs et éteins mon portable, histoire qu'elle ne me demande pas d'écouter ce fameux morceau des Beatles. Je vois ses yeux verts se poser un instant de trop sur mon téléphone. Curiosité maladive des journalistes.

« Merci de m'avoir envoyé les devoirs, je me force à sourire mais il sonne faux. Tes fiches de cours m'ont vraiment sauvée!

-Y'a pas de quoi! dit-elle joyeusement. Et puis entre filles, faut se serrer les coudes! »

Elle m'adresse un clin d'œil complice. Je ne peux m'empêcher de songer que sa technique d'approche pour me soutirer des informations est extrêmement maladroite. On se regarde une minute dans le blanc des yeux. Un silence gênant s'installe. Je me tourne vers le tableau, me détournant d'Anaë.

Interview {PLK}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant