La déchéance

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Dans les rouages de la mélancolie...

Durant tout le trajet, je n'ai cessé de repenser à ces belles réjouissances que je laisse derrière moi, à cette aventure si mémorable et pleine de complaisances qui s'éteint graduellement à l'image des braises sur du sable mouillé, des étoiles qui s'éclipsent sous les nuages ténébreux...

Assise tranquillement dans mon siège, tout juste derrière le chauffeur, j'étais pensive, quelque peu nerveuse, étourdie. Difficile de bien gamberger encore moins de méditer dans de pareilles situations d'instabilité et de turpitudes, rongée et peinée.

Dans ma solitude l'inquiétude de revivre le bonheur n'a pas cessé de m'effleurer l'esprit.

Je me surprends à constater que les moments agréables sont fanés. Et que désormais ils déambulent dans mes pensées noyés dans un brouillard épais qui acclimate mes songes à chaque métrage de route. Alors que mes peines, elles, ont su garder leur splendeur démoniaque et reprennent des couleurs au fur et à mesure que le bus s'éloignait de la ville et se rapprochait encore davantage des contrées sauvages.

Par moment je peux resentir encore la joie que j'éprouvais lorsque je jouais à la princesse dans la cour de mon beau-père avec ma couronne en bâton me baladant dans le jardin. Alors que les douleurs vilaines passent par là, cette illusion qui n'a été que très brève et éphémère, et puis s'éteignent, toutes ces lumières qui éclairaient mon âme tous ces matins de béatitude dont je profitais gratuitement sans rien en retour. C'est un peu comme les nuages qui passent sans qu'il y ait l'orage. Un bonheur qui dépérit inlassablement laissant la place à l'enchantement.

Ma mère me manquait déjà, ainsi que mon beau-père Tamsir, mes petits frères, Bachir et Moubarak. Ces visages auxquels je m'étais habituée depuis peu avaient été enchevêtrés dans mes souvenirs si profondément que je n'arrivais guère à m'en défaire. Je me remémore encore la douceur de sa paume caressant mes cheveux quand je me couchais sur elle, sa voix de fée quand elle me chantait des chansons douces pour me soulager et m'apaiser, les frissons que cela me donnait restent encrées au plus profond de mon être à jamais.
Ce fût soudain le revers. Tous ces mirages s'interrompèrent et je fus contrainte de regarder la réalité en face.

Ainsi un sentiment étrange d'anxiété m'envahissa tout à coup. Je fus dégoûtée par ce voyage, je n'éprouvais plus que du mépris et de la colère. Le bruit aux alentours, le paysage tout me déplaisait. Et je commençais à voguer dans les méandres de la pensée, les idées confuses et tourmentées, assiégée par de viles émotions, mécontente, surtout cette douleur âcre que l'on ressent quand tout par en vrille me plonga dans une mer d'amertume sans issue, où les vagues de déboires heurtaient mon humeur si méchamment, et en ressortaient ce qu'il y a de plus sombre en moi un peu comme si tout ce dont je redoutais le plus, mes peurs, mes craintes les plus absolues, sordides et les plus abjectes remontaient à la surface.

Soudain la somnolence m'assaillit. Malgré les secousses et la chaleur ambiante je parvins tout de même à fermer l'œil un instant. Au bout d'un moment je me suis réveillé lorsque j'ai senti les vents frais soufflés sur moi, j'ai aussi vite deviné que nous étions dans les faubourgs situé à l'entrée de la région. La verdure rayonnante dégageait l'odeur de l'herbe frappé par la pluie. Je savais qu'une telle douceur est atypique de la Louisiane. Ce fut un bien triste dénouement, les vacances sont terminées et retour aux durs labeurs.

De retour à Leona Sor auprès de mon père, je repris le cours de ma vie. Fort de constater que rien n'avait changé apparemment depuis dans la maison. L'environnement malsain et hideux auquel on était habitué régnait encore. Les obscénités s'étaient accentuées à première vue.

Qui plus est il semblait que mon père était plus que jamais méconnaissable, mélancolique et paranoïaque. Il paraissait troublé et affecté par mon absence d'une part mais je sentais qu'il était affecté par autres choses et que je comptais découvrir après m'être installée.

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