2° Soleil mordoré

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Chapitre à lire avec la musique pour plus d'intensité.

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Sélène

En levant les yeux sur le plafond, je pouvais y voir les fissures, s'étendre et s'enlacer. Par la fenêtre, le soleil brillait et les faisaient reluire. Le mur blanc n'avait plus grand chose de blanc. Il était devenu beige, doré, mordoré. Des éclats de pureté subsistaient pourtant, comme uniques survivants d'un temps perdu.

C'était magnifique, presque irréel. Me retrouver ici, tant de temps après avoir quitté cet appartement. Les meubles étaient restés intactes, intouchés, intouchables. Les reliques d'une vie simple, passée entre les ruelles de Palermo et ses vies cassées. Entre ses éclats de joies et ses nuits infinies. La douce pauvreté qui exalte et s'extasie.

J'ouvrais les fenêtres, laissant l'air chaud s'infiltrer entre les murs. Les persiennes s'étaient fragilisées, et la lumière se cassait parfois contre le bois, interdite.

Avec soin, je me mis à dépoussiérer l'appartement. D'abord en époussetant les meubles, puis en tapant les draps à la fenêtre. Si ce n'était pas cette pellicule de poussière, on aurait pu encore s'imaginer en 1999. Croire que les jeunes pétaradaient encore avec leur vespa, sentir le vieux souffle du centenaire, la lassitude des anciens qui avaient tout vécu. La guerre. La paix. L'oubli. On aurait pu penser que rien n'avait changé, que les ruelles étaient les mêmes. Que c'était les mêmes gouttes d'eau qui s'échouaient sur le sable nocturne. Et ce n'était pas faux. Mais les gens qui foulaient ces mêmes ruelles n'étaient plus les mêmes.

Et cela se ressentait. L'air avait changé.

Le millénaire était passé par là.

Je me revoyais, à dix-sept ans, rêveuse, enfant. Cet été là fut pourtant le plus initiateur. J'en étais revenue adulte. La réalité m'avait frappée avec tellement de force que l'ignorer aurait été me mentir.

Ici, on survivait. Et le martèlement des sourires était le martèlement des souffrances. Pleurer, crier, hurler, c'était faillir. Alors on esquissait un sourire maladroit, et un rire désabusé en sortait. Merde, qu'on pensait, c'est donc ça, la vie.

Les voiles voletaient et je me masquais le visage de la main. Le soleil passait à travers mes doigts et j'esquissais un sourire nostalgique. Comme si, malgré le temps qui passe, rien ne change vraiment. Car les lieux resplendissent toujours autant, sous la mitraille caniculaire.

En écartant les voiles, mes yeux tombaient sur la ruelle. La fameuse, celle des rencontres de la nuit, celle où les destins se croisent, se creusent. Ce fût comme un uppercut, une gifle qui te bouleverse, te renverse.

Ô! Mais je n'avais vécu que sous ce soleil mordoré. Car dans cette petite pièce, je me sentais enfin sortie de l'ombre.

Déambulant dans le reste de l'appartement, je revoyais chaque pièce sous l'oeil de la nostalgie. L'oeil de l'enfant emprisonné dans un corps d'adulte.

Dans le salon, une photo de Nonna trônait, majestueuse. Un filet de poussière recouvrait le verre. Je l'époussetais et le regard de ma grand-mère me fit presque ciller. J'avais oublié à quel point elle était belle.

Sur la photographie, elle devait avoir une vingtaine d'années. En noir et blanc, l'image parvenait pourtant à saisir avec justesse la chaleur de ses traits. Ses cheveux bruns remontés en un chignon flou, ses yeux verts, et son sourire. Si grand, si sincère, je crus qu'il m'était adressé.

S A P H I ROù les histoires vivent. Découvrez maintenant