Chapitre 8

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Le repas à l'auberge était loin d'être festif. L'unique plat s'apparentait à un bouillon dans lequel nageaient quelques légumes, et le dessert était composé de trois ou quatre gâteaux secs que le patron avait dû prélever sur ses réserves personnelles en vue de faire meilleur effet sur sa cliente dans l'espoir qu'elle reste bien plus qu'une simple nuit. Il proposa même d'apporter une assiette à son ami misanthrope resté dans la calèche, mais elle fit signe qu'il valait mieux le laisser tranquille et personne n'osa insister sur ce propos.  

La qualité du repas ne dérangea pas particulièrement Selena : l'un dans l'autre, ce qu'elle cuisinait elle-même était à peu près aussi insipide. En revanche, elle eut du mal à cacher sa déception en apprenant qu'ils n'avaient pas les ingrédients nécessaires pour réaliser l'une de ses boissons à base de lait qu'elle avait découvertes à Wunschburg, et qu'elle devrait se contenter d'infusions pendant la durée de son séjour dans les environs. Loulou, pour sa part, était déjà ouvertement déçu dès l'arrivée du bouillon, et il se promettait tout bas de partir à la recherche de quelque gibier pour avoir une chance de faire un repas digne de ce nom, dans l'hypothèse malheureusement plus que vraisemblable où Selena déciderait de rester sur place.  

Il fut tiré de ses rêves de chasse en sentant Selena se lever pour sortir. Il se redressa aussitôt, cherchant désespérément un moyen de la retenir. Il hésita un instant à l'entraîner dans leur chambre, mais s'il ne devait la retenir que cinq minutes, l'idée lui parut particulièrement stupide. Il la suivit donc à contre cœur, inquiet de jouer son rôle de garde du corps à défaut de pouvoir lui faire comprendre les risques qu'elle prenait. Et il resta d'autant plus sur ses gardes qu'il vit le gamin de l'auberge sortir discrètement après eux et partir dans la direction opposée. Le point positif étant que Manu, coincé comme il l'était dans la calèche, avait absolument toutes leurs affaires de valeur à l'œil. Au moins, celui où ceux qui voudraient les voler allait passer un mauvais quart d'heure. Et cette pensée le faisait sourire malgré lui.  

Cependant, il revint rapidement à la réalité. Selena quittait la rue principale pour s'engager dans une ruelle. Et un gémissement de sa part ne suffit pas à la faire ralentir. D'ailleurs, il n'était même pas sûr qu'elle l'avait entendu, dans la mesure où elle gardait ses yeux aux trois quarts clos, se fiant plus aux énergies environnantes qu'à ses caprices pour se diriger. Loulou l'observa faire avec des yeux ronds. C'était la première fois qu'il la voyait agir de la sorte. Même s'il l'avait déjà vue se concentrer à plusieurs reprises sur les atmosphères des lieux où ils voyageaient, et juger s'ils lui paraissaient suffisamment positifs pour s'aventurer plus avant. Mais cette fois-ci, elle ne cherchait pas à déterminer si les environs dégageaient plutôt une ambiance positive ou négative. Elle se fiait littéralement à ce qu'elle ressentait pour tracer son chemin. Et il avait beau tenter d'en faire autant, mêlant à la fois son instinct de loup et son intuition de sorcier, il ne parvenait absolument pas à se faire une idée de ce qui pouvait à ce point la captiver.  

La ruelle s'arrêta soudainement pour faire place à une route envahie par les herbes, laissant derrière elle les dernières maisons du village. Selena s'arrêta un instant, ses yeux grands ouverts perçant l'horizon, avant de remonter sa robe à hauteur des genoux et de s'y aventurer. Loulou n'osait plus protester, quoique de plus en plus inquiet face à la tournure que prenait l'escapade, mais trop intrigué par le comportement de Selena qui semblait l'avoir totalement oublié. Elle se frayait un chemin parmi les plantes qui s'acharnaient à masquer ce qui devait être autrefois une rue de plus dans le village, à en croire les ruines de quelques maisons qu'ils croisaient à droite et à gauche.  

Ils marchèrent pendant près d'un quart d'heure, traversant ruines et végétation sans croiser ni âme qui vive, ni même la preuve que quelqu'un avait pu s'aventurer aussi loin du village dans cette direction depuis des années, avant que n'apparaisse en bout de route, comme si celle-ci avait été conçue jadis pour y aboutir directement, un manoir délabré et, selon toute vraisemblance, abandonné. Non pas le manoir que Selena avait aperçu de la fenêtre de sa chambre dans l'auberge et qui, pour sa part, semblait aussi bien que possible entretenu. Celui devant lequel ils se tenaient avait un aspect étrange, construit hors des architectures habituelles, un peu comme si les propriétaires avaient fait construire les pièces au fur et à mesure de leur besoin sans se soucier de l'aspect général que cela donnerait à l'habitation. Et Selena s'arrêta enfin.  

Dans l'ombre de la prophétie (Eralin 2ème partie)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant