Chapitre 9

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Sur le chemin du retour, Selena se posa de nombreuses questions, peu consciente des innombrables coups d'œil que Loulo jetait en arrière. Elle ne savait pas exactement ce qui l'avait attirée jusqu'au manoir abandonné, mais elle n'avait pas l'habitude de se sentir à ce point appelée par un lieu. Elle sentait simplement que quelque chose de familier se dégageait de la bâtisse, mais trop faible pour la mettre sur la voie, comme l'image d'un rêve qu'on essaye de rappeler à son réveil et qui s'efface trop vite à mesure qu'on se concentre dessus. Elle hésitait à en parler à Iolar. Seulement, elle avait trop peu d'indices pour l'inquiéter inutilement avec le sujet. Et, si elle voulait être parfaitement honnête envers elle-même, elle savait qu'elle cherchait simplement un prétexte pour le déranger, grisée par leurs précédentes expériences de télépathie.  

Elle était encore à se demander si elle ne pourrait pas trouver un élément plus important à lui communiquer quand ils arrivèrent devant l'auberge. Son attention fut distraite par un homme habillé d'un pantalon vert et d'une veste rouge qui discutait avec l'aubergiste. Ce dernier vint au-devant d'elle en la voyant arriver, affichant un air à la fois surpris et légèrement inquiet.  

"Vous avez trouvé un vagabond ?" 

Elle se retourna en quête de l'homme auquel il faisait allusion. C'est quand elle vit Loulo se mordre les lèvres et éviter de croiser son regard qu'elle comprit que c'était de lui qu'on parlait : avec la peur qu'il avait eue près des ruines, et plus encore face au crâne, ses pensées avaient vagabondé au point qu'il en avait oublié de reprendre son apparence lupine, pensant inconsciemment qu'il changerait de forme sans avoir à le faire consciemment ainsi que cela se faisait d'habitude. Et il se retrouvait devant des étrangers, nerveux et embarrassé, enveloppé dans le manteau de Selena, les cheveux en bataille et les pieds nus, et sachant pertinemment à quel point il pouvait apparaître comme un vagabond et un crève-la-faim aux yeux de ces gens de campagne habitués à en voir parfois traverser leurs champs pour chiper un fruit ou, pire, une poule.  

Selena n'avait pas conscience des préjugés que pouvaient inciter les vagabonds aux paysans, mais elle répondit avec sa simplicité habituelle.  

"C'est un ami, on voyage ensemble depuis plusieurs mois. Lui, Manu et moi. On a juste été faire un tour ensemble." 

Les deux hommes s'échangèrent un regard peu convaincu, principalement dû au fait que Loulo portait la cape que portait Selena en partant une heure plus tôt, et que l'aubergiste l'avait vue partir seule. Sentant leur réticence sans en comprendre la cause, elle ajouta.  

"Mais si ça gêne qu'on soit trois plutôt que deux, il peut toujours dormir dans la calèche." 

Loulo ferma les yeux nerveusement, sentant qu'elle aggravait la situation malgré elle. Finalement, devant l'ambiance tendue et le silence pesant des trois hommes, et ne sachant toujours pas quelle en était l'origine, elle laissa leurs scrupules de côté pour s'adresser directement à son ami.  

"Tu devrais peut-être mettre des vêtements à toi. Je crois que je comprends mieux pourquoi tu n'aimes pas porter de vêtements de femmes." 

Il ne parvint pas à répondre, le souffle coupé par le décalage de la phrase par rapport à la situation, mais voyant que les deux hommes commençaient à mettre leurs doutes premiers de côté, puisqu'elle avait dit "des vêtements à toi", et se posaient des questions sans doute un peu plus difficiles à appréhender, il saisit l'excuse que lui offrait Selena de s'éclipser et partit rapidement en direction de la calèche, sous le regard surpris des autres qui se demandaient comment il avait compris la direction à prendre sans qu'elle n'ait eu à le lui expliquer. Pourtant, la présence de Manu dans la calèche, et le peu de son caractère qu'il avait laissé paraître, les rassura légèrement : si le misanthrope laissait s'approcher l'étranger, c'est que lui-même le connaissait. L'aubergiste s'excusa et se trouva une activité soudain urgente à effectuer auprès de la calèche pour vérifier que sa cliente ne lui avait pas amené un voleur de chemins dans son établissement. Il fut rapidement soulagé, voyant le jeunot frapper deux coups et dire "C'est moi", la portière s'ouvrir et se refermer derrière lui sans éclat de voix ni réticence de la part du lecteur misanthrope qui n'avait toujours pas mis le nez dehors depuis qu'il était arrivé.  

Dans l'ombre de la prophétie (Eralin 2ème partie)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant