44. Draconis

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Quand Crysée revint au réel, Mjöllnir était en train de traverser Sol Draconis, l'étoile qui, de l'extérieur du système, leur apparaissait comme un mur de feu, comme une frontière. Elle vit le plasma se rapprocher d'elle à toute vitesse, avisa la pointe du vaisseau qui disparaissait dans cet océan de lumière, referma un cocon d'Arcs autour d'elle et s'élança.

Elle traversa le mur selon une trajectoire oblique, crevant sa surface comme une éruption solaire et, quand elle retrouva Fréya à l'avant de son vaisseau, elle brillait comme si le feu était entré sous sa peau. Le regard du système de contrôle avait changé. Fréya participait à cette course pour le compte de sa pilote, car sa pilote avait besoin d'elle ; mais jusqu'à présent, elle avait vu Crysée comme une passagère clandestine, et non un électron libre.

« Je comprends maintenant ce que sont les dieux.

— Je ne suis pas une déesse, fit la solaine en soufflant sur sa main pour en écarter des particules de lumière encore accrochées à elle. On choisit d'être un dieu en faisant usage de son pouvoir.

— Alors, c'est bien ce que tu es en train de devenir. »

Sorties de Sol Draconis, l'étoile majeure du système avait repris sa forme sphérique habituelle. Crysée examina les environs.

De longues traînes de débris circulaient le long d'orbites anciennes ; des planètes et leur lunes, détruites lors de la bataille, des omnisaures inactifs ou endormis. Un arc de feu brûlait encore, un anneau de plasma issu de l'écrasement de Sol Draconis II, l'étoile jumelle, qui avait servi de réservoir d'énergie aux Dragons des différentes factions.

« La planète est encore là, remarqua Fréya.

— C'est impossible. Elle est censée avoir disparu. »

La femme en blanc plissa des yeux. Elle recalibrait sans doute ses senseurs pour les adapter aux propriétés physiques de cet espace, notamment une vitesse de la lumière légèrement plus faible.

« Tu as raison. Ce n'est pas Draconis. C'est une sphère de débris de la taille de la planète d'origine, maintenus entre eux par une sorte de champ électrostatique.

— Est-ce que tu vois la tour de cent kilomètres qui y est attachée ?

— Je ne dirais pas qu'elle est attachée... c'est plutôt un assemblage de fragments maintenus en place par ce champ. Je ne pense pas qu'il s'agit des matériaux d'origine.

— C'est la Tour de Babel. Le Stathme de Jupiter se trouvera au sommet.

— Alors, c'est notre destination. »

Draconis était très proche, et seul la transparence gélatineuse du vide ambiant, qui ne laissait pas la lumière s'y écouler avec sa facilité habituelle, empêchait d'en cerner tous les détails. Lisse en apparence, car faite de rochers de quelques dizaines de kilomètres de diamètre, elle semblait creuse, mais des feux-follets violets s'y livraient une danse envoûtante. La Tour de Babel, faite de débris planétaires liés entre eux par magnétisme, y était résolument attachée telle l'épée dans son rocher, attendant que la main de l'élu se repose sur sa garde. L'élu choisi par le Stathme, ou par le destin.

Crysée sentit un remous dans la maille d'Arcs ambiante, et creusa une torsion d'espace pour se déplacer à l'autre bout de Mjöllnir. Un bras d'écume noirâtre, sorti du néant, frappa le vaisseau sur toute sa largeur sans laisser la moindre égratignure.

« Voilà qui est étonnant, fit Fréya, dont la forme astrale se déplaçait avec autant de facilité que Crysée. Tout n'est donc pas mort dans ce système. Et je ne les vois pas venir.

— Je les entends. Il faut les éviter quand ils apparaissent.

— Que sont-ils ? Que veulent-ils ?

— Des morts ramenés à la vie par le Stathme. Regarde ce que fait le Némée. »

Le vaisseau du Comte Oleg, toujours en avance sur elles, s'était lancé dans une vrille périlleuse. L'équipage doit être bien accroché, songea Crysée, qui n'imaginait pas qu'un croiseur de guerre de Lazarus pût se permettre de telles folies.

« Je ne sais pas qui pilote cet engin, nota Fréya, mais elle ne manque pas de panache.

— Il. Un seul homme est capable de piloter de cette manière. »

En effet, Barfol traverserait l'enfer en évitant ses flammes éternelles, sans y penser, tout en essayant d'écraser un moustique. Les émanations noir d'encre qui traversaient l'espace claquaient tout autour de lui comme des mâchoires broyeuses. Hors d'atteinte, le Némée n'était pas pour autant sorti d'affaire. Des lueurs rouges apparaissaient sur sa surface comme une allergie soudaine ; des explosions et des échappements d'atmosphère enflammée. Le vaisseau se consumait comme une torche. Malgré cela, Barfol cheminait gaiement en direction de la Tour de Babel.

« C'est un inconscient, jugea Crysée.

— Mais un inconscient arrivé là où il souhaitait.

— Je ne sais pas pourquoi il fait ça. Je leur ai promis de détruire le Stathme. Je vais le faire. Ils n'ont pas besoin d'être là.

— Peut-être que si, rétorqua Fréya avec un fin sourire, rare sur son visage uniforme. Peuvent-ils te faire confiance ? Ta résolution est-elle suffisante face à l'attrait du pouvoir ? Tu es peut-être la seule à pouvoir détruire le Stathme, mais tu l'as répété trop de fois pour que je ne doute pas un peu de toi. »

Crysée lâcha un soupir excédé.

« À notre arrivée, dit Fréya, ma pilote va sortir de l'IM. Je voudrais que tu l'emmènes jusqu'au sommet de la Tour.

— Pourquoi ? Que veut-elle ?

— Elle ne veut pas le pouvoir du Stathme. Elle veut lui parler.

— Ils veulent tous la même chose. Elle s'est servie de toi, de ton pouvoir, pour accéder à un plus grand pouvoir.

— Elle a été guidée jusqu'ici.

— Eh bien, quelqu'un d'autre se sert d'elle pour accéder au Stathme, voilà tout. Mais je ferai comme tu me l'as demandé. Je l'amènerai devant le Stathme, et ensuite, je le détruirai. »

Nolim IV : La Cité de cristalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant